PLASTICITÉ CÉRÉBRALE

À la fin du xixe siècle, l'idée de plasticité s'est imposée pour évoquer plus particulièrement une propriété du tissu nerveux (neuroplasticité) rendant possibles de nombreux phénomènes neurophysiologiques, psychologiques ou comportementaux. L'acquisition des réflexes, la formation des souvenirs, des habitudes semblaient l'exiger, tout comme la prégnance de certaines métaphores traditionnelles touchant la mémoire (empreinte). Pendant des années, la plasticité fut considérée comme une qualité du système nerveux sous-tendant les modifications à long terme, sans que l'on pût définir cette qualité autrement que de manière analogique ou métaphorique. Une mise en rapport empirique effective de l'évolution comportementale et cognitive au cours de la vie avec des modifications de structures cérébrales paraissait nécessaire.

Une plasticité cérébrale évidente

En ce qui concerne l’être humain, et depuis les travaux de l'Allemand Franz Josef Gall (1757-1828), on avait longtemps dû en rester à l'observation comparée de cerveaux aux différents âges de l'existence, du fœtus au vieillard, sans grand succès d’ailleurs. Puis les nombreuses observations effectuées à la suite de celles du Français Paul Broca (1824-1880) sur l'apprentissage et la perte des fonctions, en particulier celle du langage, ainsi que sur les compensations de fonctions perdues pesèrent en faveur de la notion de plasticité.

L’étymologie de « plasticité », dont le terme apparaît au xviiie siècle, et son usage dans les arts et les techniques, renvoient à la fois à la reproduction de formes existantes et à la création de formes nouvelles, à la passivité d’être transformé (argile plastique) et à l’activité de ce qui transforme (arts plastiques). Cette ambivalence persiste au xixe siècle lorsque le terme est appliqué au vivant dans son ensemble. Les « aliments plastiques » sont destinés à être assimilés, selon les chimistes Jean-Baptiste Dumas et Justus von Liebig, mais l’idée de plasticité désigne aussi chez les naturalistes les modifications organiques liées à l’environnement, en d’autres termes l’adaptabilité. Comme le soulignait bien le neurophysiologiste Jacques Paillard, « la biologie devait se heurter à l’ambivalence introduite par un terme qui désignait à la fois la propriété des organisations vivantes d’être des organisations “organisées”, des structures d’ordre modelables, malléables sous l’action des contraintes du milieu extérieur, et des organisations “organisantes”, c’est-à-dire des structures génératrices d’ordre d’abord au niveau d’une morphogenèse planifiée par le programme génétique, puis comme structurantes de leur propre univers sensoriel et moteur, enfin comme transformatrices de l’ordre physique qui caractérise leur environnement ».

À la suite des travaux du biologiste et médecin anglais Augustus Waller, les observations de Broca et de ses successeurs, que l’on pourrait situer dans la neurophysiologie expérimentale, concernent particulièrement la question de la régénération des nerfs. Le terme de plasticité, entendu comme caractéristique spécifique du système nerveux, va alors progressivement se répandre en neurologie, mais surtout être appliqué au système nerveux périphérique. Les recherches du biologiste espagnol Santiago Ramón y Cajal (1852-1934) accélèrent sa transposition au niveau central. Le physiologiste allemand Albrecht Bethe (1872-1954) tente quant à lui de réserver le vocable à la description des modifications de fonctions (pertes et mécanismes de compensation) dues à des lésions cérébrales. Le Soviétique Ivan Petrovitch Pavlov (1849-1936) et les physiologistes de son école en font au contraire une notion plus générale, parfaitement intégrée dans leur réflexologie : les voies réflexes qui peuvent[...]

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Écrit par

  • Jean-Claude DUPONT : professeur des Universités (histoire et philosophie des sciences) à l'université de Picardie Jules Verne, Amiens

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Pour citer cet article

Jean-Claude DUPONT, « PLASTICITÉ CÉRÉBRALE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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