PATRIMOINE MONUMENTAL
La restauration
L'architecte et l'archéologue : débat sans fin
Dans l'usage, le terme de restauration a trois acceptions : politique, culinaire, artistique. Tradition, goût, authenticité, aucune de ces nuances n'est exclue dans nos interventions sur les monuments du passé.
« L'archéologue ne fait rien, ne produit rien. Il se contente de mettre son veto sur toute idée génératrice », écrivait froidement Abadie en 1859. Chargé par la municipalité d'Angoulême de « traiter » le château pour en faire un hôtel de ville, les solutions radicales qu'il préconisait lui avaient attiré des critiques sévères, auxquelles il répliqua vertement. Pour lui, comme on l'a vu à Saint-Front de Périgueux, l'architecte est seul juge des dispositions à prendre, puisqu'il s'agit d'architecture, même s'il tend à substituer, sous couleur de rajeunissement, un édifice neuf à ce qui restait de l'ancien. L'archéologie n'est même pas utile, dans le détail des procédures simples. Un peu plus tard, Anatole Leroy-Beaulieu déclarait, dans un article sur « La Restauration de nos monuments historiques devant l'art et devant le budget » (in Revue des Deux-Mondes, déc. 1874) : « Avec un sage entretien, un monument peut être éternel grâce à la substitution d'une pierre neuve à une pierre usée. » Merveilleuse candeur qui permet également de faire l'économie de l'histoire, la vigilance du service suffisant à tout.
La pratique des monuments historiques ne s'est pas définie dans notre pays en accord avec l'analyse archéologique. Quand Ruprich-Robert traite en 1881 devant les antiquaires de Normandie « de l'influence de l'opinion publique sur la conservation des monuments anciens », il enregistre attentivement l'attention portée par les masses paysannes et urbaines à leurs édifices ; il en conclut qu'il faut les restituer à leur état idéal, en enlevant par exemple, comme il le fit à Ouistreham, la corniche du xviiie siècle, non qu'il faut s'entourer de garanties archéologiques supplémentaires. On voit bien pourquoi à Caen, à l'église de la Trinité de l'Abbaye-aux-Dames, dont la façade a été, sans raison évidente, complètement refaite (pour ces exemples, on se reportera à la remarquable étude de Paul Léon La Vie des monuments français, 2e éd., 1951). L'éducation reçue à l'École des beaux-arts conduisait à faire de toute intervention un exercice noble, comme s'il s'agissait d'un beau texte que l'on récrirait. Au tournant du xxe siècle, on s'étonnait tout de même un peu des prouesses des « restaurateurs ». Les malheurs de la Grande Guerre contribuèrent à troubler encore davantage les esprits : que faire devant tant de ruines à relever ? André Michel marqua de son mieux la nécessité de renoncer aux grandes ambitions architecturales d'autrefois ; il invitait les architectes à « tout immoler, vanité d'artiste et rêverie d'archéologue, à la seule volonté de bien servir » (Revue des Deux-Mondes, 1917). Appel émouvant et toujours valable, mais le moins qu'on puisse dire est qu'une nouvelle doctrine ne se dégagea pas. Trente ans plus tard non plus. Jusqu'à l'effort de la charte de Venise (1964), le problème n'a jamais été repensé comme il aurait convenu.
On peut se demander si, entre-temps, la question n'a pas un peu changé de sens. Elle a cessé d'être purement technique en dépassant de plus en plus largement le cercle du service. L'apparition des « secteurs sauvegardés » est un des épisodes majeurs de l'espèce de retournement que l'administration des villes a dû accomplir. Des fractions importantes du public s'intéressent maintenant à l'authenticité des édifices, quitte à la concevoir étrangement, si l'on en juge pour les restaurations[...]
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Écrit par
- André CHASTEL : membre de l'Institut, professeur au Collège de France
. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )
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Autres références
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ARCHITECTURE COLONIALE ET PATRIMOINE (dir. M. Pabois et B. Toulier)
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La publication des actes de la table ronde organisée, en septembre 2003, par l'Institut national du patrimoine à Paris sur le thème de l'architecture coloniale et du patrimoine (I. L'Expérience française, I.N.P.-Somogy, Paris, 2005, suivi de II. Architecture et patrimoine coloniaux...
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Voir aussi
- RESTAURATION, art
- ARCHÉOLOGIQUE RECONSTITUTION
- PHOTOGRAPHIE AÉRIENNE ET SPATIALE
- CONURBATION
- RITES FUNÉRAIRES
- REMPART
- AMÉNAGEMENT DE L'ESPACE URBAIN
- NÉCROPOLE
- CHARTE DE VENISE (1964)
- ESPACE URBAIN
- ARCHÉOLOGIE AÉRIENNE
- URBANISATION
- PATRIMOINE, droit et économie
- HISTOIRE URBAINE
- ROME, des origines à la République
- ARCHITECTURE HISTOIRE DE L'
- MONUMENTS HISTORIQUES