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PATRIMOINE INDUSTRIEL EN GRANDE-BRETAGNE

Un immense horizon de régénération urbaine

C'est dans un cadre différent, toutefois, que se situe depuis les années 1980 le mouvement le plus important pour la réhabilitation de l'architecture industrielle, et qu'est né un puissant courant capable de modifier en profondeur le regard de la population sur cette architecture. Il s'agit d'opérations globales, plutôt que ponctuelles, portant sur la régénération du tissu urbain dans les villes portuaires dont l'Angleterre, étant une île, et une île déchiquetée par ses estuaires, est particulièrement riche.

Ces ports, depuis la fin du xviiie siècle, ont vu croître leur mouvement de navires et leur trafic de marchandises à un rythme tel, dans l'interaction de l'expansion impériale et de l'industrialisation, qu'ils ont dû se doter, par étapes successives, jusqu'à l'entre-deux-guerres d'équipements techniques, commerciaux et industriels à la mesure de l'intensité des échanges comme de la taille des bateaux. De là un héritage d'architecture (et d'outillage) portuaire non moins formidable que celui de l'industrie, ou des transports (ne faudrait-il pas évoquer les combats qui se sont déroulés autour de la destruction ou de la préservation des superbes gares anglaises, que Londres aujourd'hui rafraîchit et modernise, à Liverpool Street, à Paddington, à Saint-Pancrace ?). Dans cet héritage, on trouve : des quais et des bassins, dont le profil et l'appareillage sont des merveilles de la technique du génie civil ; des écluses et leurs portes et appareils de manœuvre, souvent très sophistiqués ; des grues de toutes sortes ; des chantiers de constructions navales ; des plans d'eau que l'on peut soit remblayer soit conserver pour valoriser les édifices riverains, de vastes espaces se prêtant à des restructurations. Last but not least : les entrepôts (warehouses), dont l'architecture est la plus proche de celle des manufactures, et qui sont devenus le morceau de bravoure obligé des architectes épris de rénovation. Outre leurs étages multiples, leurs imposantes dimensions, leur proximité de la mer, d'un fleuve ou d'un dock, les warehouses présentent des atouts inégalables : la qualité des matériaux, allant de la pierre à la brique, du très beau bois de charpente aux colonnes de fonte ; la beauté de sous-sols voûtés sur des forêts de gros piliers ; l'esthétique des volumes et des façades savamment rythmées ; la variété de leurs aspects, en dépit de l'identité des destinations utilitaires et d'un caractère générique immédiatement reconnaissable. Bâti pour résister à d'énormes charges, l'entrepôt est un château fort. En remodelant l'intérieur, ils abritent des appartements de luxe aux vastes pièces et aux vues panoramiques, des centres commerciaux ou d'exposition, des restaurants à la mode, des bureaux naturellement, et font maintenant prime sur le marché de l'immobilier.

Tower Bridge, 1 - crédits : Sven Hansche/ Shutterstock

Tower Bridge, 1

À Hull sur le Waterfront proche de la vieille ville, à Cardiff dans la zone de régénération de la baie (the Bonded Warehouse), à Liverpool à l'Albert Dock (où l'annexe de la Tate Gallery ouverte en 1988 a reçu dès la première année un million de visiteurs), on assiste à de brillants exercices, mais d'une portée limitée. Tout autre est la gigantesque entreprise de reconquête des Docklands de Londres, la plus grande du genre en Europe, qui vise tout simplement à faire naître sur les sites morts du port ancien (le port vivant se situant à Tilbury et au-delà, très loin à l'est) une seconde zone de centralité, résidentielle, commerciale et d'affaires (Canary Wharf, une seconde City ?). En effet, dès la fondation de Londres à l'époque romaine, ce port s'est développé vers l'est, en sens contraire du développement de la ville (de la Tour à Westminster). Sur les deux rives de la Tamise, de Tower Bridge jusqu'aux Royal Docks, quinze kilomètres plus loin, les toutes premières années du xixe siècle ont donné le coup d'envoi à une prolifération d'installations qui ont joué leur rôle jusqu'aux années 1960, conquérant à partir des rives du fleuve de vastes zones marécageuses converties en réseaux de docks (d'une complexité remarquable dans le méandre de l'Isle of Dogs). Depuis les années 1970, on a beaucoup rasé, comblé et démonté, ici comme sur d'autres cimetières de l'industrie : mais l'ensemble était d'une telle richesse qu'on a pu sauver beaucoup aussi, et qu'il reste du travail pour les spécialistes de la reconversion jusqu'au début du xxie siècle... Les initiatives privées, du ressort d'un capital international très actif dans cette zone, sont contrôlées par une agence qui étend son autorité sur plusieurs communes, la London Docklands Development Corporation. L'ensemble des opérations est avant tout du type « ville nouvelle », reposant sur l'élaboration préalable d'infrastructures d'avant-garde, comme les douze kilomètres de la nouvelle ligne de métro équipée en véhicules automatiques légers, ou le City Airport, sans parler de tous les réseaux classiques. Mais le fait culturel révolutionnaire réside dans l'association à cette innovation urbaine d'une multiplicité d'opérations de restauration des structures portuaires, et de valorisation du fleuve qui en fut l'âme : dans le respect des ouvrages des architectes et des ingénieurs, l'image du premier port mondial que fut Londres dans un passé encore proche, celle d'un coeur économique de la planète, va pouvoir rester présente dans la vie quotidienne de nouvelles générations. Les réalisations de St. Katharine Docks, d'une hétérogénéité contestable, ont été suivies d'opérations beaucoup plus soignées en direction de l'est, sur les deux rives, qui contribuent à rehausser le prestige de la rive sud, longtemps défavorisée. Une nouvelle géographie touristique de la capitale anglaise est en train de naître, qui fait d'elle une vitrine internationale de la défense du patrimoine industriel en dépit des pertes subies par le patrimoine des Docklands et de l'incertitude qui pèse sur le destin de la grande centrale électrique de Battersea.

— Louis BERGERON

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Écrit par

  • : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales

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Média

Tower Bridge, 1 - crédits : Sven Hansche/ Shutterstock

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