PAMUK ORHAN (1952- )
Une histoire parallèle
Orhan Pamuk a pu observer, au sein de sa propre famille, la transition du mode de vie ottoman traditionnel à celui qui caractérise la modernité occidentale. Son premier roman, Cevdet Bey et ses fils, une saga familiale qui se déroule sur trois générations, reflète ce passage, comme il le dit lui-même, à la façon des Buddenbrook(1901) de Thomas Mann.
Son deuxième roman, SessizEv (1983 ; La Maison du silence, trad. fr. 1988), raconte, à travers cinq perspectives différentes et dans la Turquie troublée des années 1970, la visite que les membres d'une famille rendent à leur grand-mère, qui vit seule dans une villa au bord de la mer. Les discussions et les errements politiques des jeunes gens de l'époque sont ici le miroir d'une société en ébullition.
C'est avec BeyazKale(1985 ; Le Château blanc, trad. fr. 1996) que Pamuk commence à attirer l'attention internationale. Ce roman historique, qui se situe à la fin du xviie siècle, relate le destin de deux hommes issus de deux cultures différentes : le maître, Hodja, un Turc musulman, et son esclave vénitien chrétien. Les deux hommes, qui éprouvent une fascination réciproque l'un pour l'autre, finiront par échanger leur identité respective. La littérature républicaine avait longtemps sciemment négligé l'héritage ottoman sous toutes ses formes. Dans son œuvre, Orhan Pamuk revient ainsi non pas sur cette histoire globale, événementielle, mais sur une histoire en miniature faite de détails, d'hommes, de manières de vivre, de penser, de créer, de ressentir... Après le Bosniaque Ivo Andrić et l'Albanais Ismail Kadaré, qui ont si magistralement mis en scène le passé ottoman, Orhan Pamuk revisite ainsi à sa manière une histoire très longtemps occultée.
Orhan Pamuk se plaît à jouer avec les identités multiples et le dédoublement des personnalités. Dans Kara Kitap(1990 ; Le Livre noir, trad. fr. 1995), le narrateur, un jeune avocat, est à la recherche de sa femme et de son beau-frère dans le dédale d'Istanbul. Jusqu'à ce qu'il change de personnalité et adopte celle de son beau-frère, un homme secret qu'il admire. Pour nous présenter cette autre réalité, l'écrivain recourt fréquemment aux traditions mystiques orientales, le soufisme notamment. Le Livre noir a certainement ébranlé l'hégémonie du réel dans le roman turc, comme il a banalisé le recours à l'histoire. Ce roman, qui a fait l'objet d'une adaptation au cinéma, en 1991, par Ömer Kavur, GizliYüz (Face cachée), obtint lors de sa parution en français, en 1995, une première distinction internationale avec le prix France-Culture.
Avec Yeni Hayat (1994 ; La Vie nouvelle, trad. fr. 1999), Orhan Pamuk entraîne le lecteur dans sa propre vie, jusqu'à un point de non-retour. Par le biais d'une série de récits de voyage, il multiplie les allusions à l'écriture littéraire, les récits d'expériences mystiques et les souvenirs tirés des traditions populaires turques. Le récit se fait ici événement allégorique plutôt que romanesque. BenimAdımKırmızı (1998 ; Mon nom est Rouge, trad. fr. 2001) a pour thème principal la conception et la pratique de l'art en Orient et en Occident ; le fil conducteur, qui n'est au demeurant qu'un prétexte, est un crime commis à Istanbul, dans le milieu des artisans de la miniature du xvie siècle. Il s'agit encore une fois d'un roman historique et d'une histoire d'amour déçu, mais aussi d'une réflexion sur la place de l'individualité dans l'art.
On voit qu'Orhan Pamuk est non seulement un romancier, mais également un chercheur, dans sa manière de poursuivre et de développer, au fil des ans et de la réflexion, une idée fixe. Tel un véritable historien, il n'hésite pas à se plonger dans l'étude des archives. Ainsi, pour alimenter[...]
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Écrit par
- Michel BOZDÉMIR : professeur émérite de langue et civilisation turques
Classification
Média
Autres références
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TURQUIE
- Écrit par Michel BOZDÉMIR , Encyclopædia Universalis , Ali KAZANCIGIL , Robert MANTRAN , Élise MASSICARD et Jean-François PÉROUSE
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- 22 médias
...engagée grâce aux grandes figures de Nazim Hikmet et de Yachar Kemal, a atteint le plus haut niveau avec l'attribution du prix Nobel de littérature 2006 à Orhan Pamuk. Celui-ci a fait de la recherche de l'identité, symbole de l'évolution de la Turquie face à l'Occident, une constante de son œuvre, où les...