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MYSTIQUE

L'expérience mystique

Paradoxes

Le mystique apparaît donc sous des formes paradoxales. Il semble verser tantôt dans un extrême, tantôt dans l'autre. Par l'un de ses aspects, il est du côté de l'anormal ou d'une rhétorique de l'étrange ; par l'autre, du côté d'un « essentiel », que tout son discours annonce mais sans parvenir à l'énoncer. Ainsi, la littérature placée sous le signe de la mystique est très abondante ; souvent même confuse et verbeuse. Mais c'est pour parler de ce qui ne se peut ni dire ni savoir.

Autre paradoxe : les phénomènes mystiques ont le caractère de l'exception, voire de l'anormalité. Pourtant, ceux qui présentent ces faits extraordinaires les vivent comme les traces locales et transitoires d'un universel, comme des expressions débordées par l'excès d'une présence jamais possédée.

Enfin, ces manifestations souvent spectaculaires ne cessent de renvoyer à ce qui reste mystique, c'est-à-dire caché. Aussi bien l'expression « phénomènes mystiques » fait-elle coïncider deux contraires : est « phénomène » ce qui apparaît, un visible ; est « mystique » ce qui demeure secret, un invisible.

La mystique ne peut être réduite à l'un ou à l'autre des aspects qui composent chaque fois son paradoxe. Elle tient dans leur rapport. Elle est sans doute ce rapport lui-même. C'est donc un objet qui fuit. Tour à tour, il fascine et il irrite. Avec ces faits mystiques semble s'annoncer une proximité de l'essentiel. Mais l'analyse critique entre dans un langage sur « l'indicible » ; et, si elle le récuse comme dépourvu de rigueur, comme un commentaire trop embarrassé d'images et d'impressions, elle ne rencontre plus, sur le terrain de l'observation, que des curiosités psychologiques ou des groupuscules marginaux. Pour éviter cette alternative entre un « essentiel » qui finit par s'évanouir dans le « non-dit », hors du langage, et des phénomènes étranges qu'on ne peut isoler sans les vouer à l'insignifiance, il faut revenir à ce que le mystique dit de son expérience, au sens vécu des faits observables.

L'événement

Les faits psychosomatiques classés comme mystiques posent quelque chose de particulier. Des phénomènes extraordinaires semblent spécifier d'abord la mystique. Ils tranchent sur la vie ordinaire. Ils se découpent dans l'observable comme les signes d'une langue étrangère. Mais cette irruption de symptômes étranges signalise seulement des moments et des seuils qui, de fait, sont particuliers. La vie mystique comporte des expériences qui l'inaugurent ou la changent. Ces « moments » ont pour caractère d'ouvrir une fenêtre dans le lieu où l'on est, de donner une aisance nouvelle, de permettre sa respiration à la vie qu'on menait. Ce sont des expériences décisives, indissociables d'un endroit, d'une rencontre ou d'une lecture, mais non pas réductibles à ce qui a été le lieu de passage : le chant d'oiseau qui découvre au chaman sa vocation ; la parole qui perce le cœur ; la vision qui retourne la vie... « C'était  », peut dire le mystique, car il garde gravées en sa mémoire les moindres circonstances de cet instant. La précision de ses souvenirs, en n'importe quelle « vie » ou « autobiographie », le montre. Mais il ajoute : « Ce n'était pas cela », car il s'agit pour lui d'autre chose que d'un site, d'une impression ou d'une connaissance.

Ces événements privilégiés se retrouvent ailleurs que dans la vie mystique. Ainsi, par exemple, le moment que Julien Green décrit dans son Journal, et qui rejoint le « sentiment océanique » de Romain Rolland : « 18 décembre 1932. Tout à l'heure, sous un des portiques du Trocadéro, je m'étais arrêté pour regarder[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Médias

Romain Rolland - crédits : Keystone-France/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Romain Rolland

<it>Le Mariage mystique de sainte Catherine de Sienne</it>, Fra Bartolomeo della Porta - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Le Mariage mystique de sainte Catherine de Sienne, Fra Bartolomeo della Porta

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