DIETRICH MARLENE (1901-1992)
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Un couple baudelairien
Maria Magdalena Dietrich, dite Marlene Dietrich, née à Berlin le 27 décembre 1901, a connu une longue carrière par rapport à la plupart des stars hollywoodiennes, tout particulièrement sa grande rivale Greta Garbo. Elle a incarné pendant plus de trente ans, à l'écran comme au music-hall, une image mythique et singulière de la femme, à la fois objet de culte amoureux et sujet lucide et dominateur.
Marlene Dietrich est la fille d'un officier de cavalerie. Son enfance à Weimar est à la fois protégée et marquée par la discipline. Elle manifeste très tôt des prédispositions pour le violon, mais doit abandonner l'espoir d'une carrière d'instrumentiste à la suite d'une maladie du poignet. Dans le Berlin en crise des années 1920, elle vit la bohème d'une jeunesse sans repères, jouant du violon dans les cinémas ou se produisant comme danseuse dans des tournées. Elle suit aussi des cours de théâtre avec un assistant de Max Reinhardt et débute au cinéma en 1923 (Der Kleine Napoleon [Le Petit Napoléon], Georg Jacoby), avant d'épouser l'année suivante un régisseur influent, Rudolf Sieber. Ses parures extravagantes, ses jambes et ses rôles provocants, parfois ambigus, la font remarquer. Des spectacles musicaux tels que Es liegt in der Luft, avec la très masculine Margo Lion, et des films comme Cafe Elektric (Filles d'amour, Gustav Ucicki, 1927) ou Prinzessin Olala (Princesse Olala, Robert Land, 1928) en font une vedette. Josef von Sternberg, frappé par la souveraineté de son regard, contrastant avec une très « vivante » sensualité, l'impose dans le rôle de Lola-Lola dans L'Ange bleu (1930), d'après le roman de Heinrich Mann. En l'espace de sept films, le metteur en scène va faire de la blonde et pulpeuse Allemande une star sophistiquée et « glamour », exhibant les tenues les plus troublantes et ambiguës : plumes, peau de gorille, robes drapées, fourrures, collants, smokings d'homme...
Josef von Sternberg et Marlene Dietrich
Le réalisateur Josef von Sternberg (1894-1969) et l'actrice Marlene Dietrich (1901-1992).
Crédits : Hulton Archive/ Getty Images
Parmi les admirateurs de Marlene, la majorité (surtout masculine) apprécie cette transformation, considérant que sa silhouette, dans L'Ange bleu, est encore lourde, sans grâce, trop « germanique ». C'est confondre un peu vite le personnage et l'actrice : lourdeur du corps et vulgarité font partie de l'entraîneuse Lola-Lola. Elles restent présentes dans certaines scènes de Morocco (Cœurs brûlés, 1930), où s'opère le remodelage de la star. Le point de vue, féminin (et féministe), de Louise Brooks rencontrant à Hollywood pour la première fois Marlene, « une jolie blonde bien en chair », est bien différent. « Ses beaux cheveux blonds étaient étroitement bouclés, elle portait une robe de gaze bleu ciel avec de lourds bas de soie allemands. À ma grande surprise, elle me dit bonsoir d'une voix chaude et amicale. Elle était encore tout à fait Lola-Lola de L'Ange bleu. Mais, à partir du moment où Cœurs brûlés fut distribué, toute ressemblance avec ce personnage magnifique s'évanouit à tout jamais. Dans la nouvelle Dietrich, si raffinée, il n'y avait plus trace d'heureuse vulgarité ou de générosité impulsive. Ses mouvements brutaux et dynamiques s'étaient atténués jusqu'à cette démarche majestueuse qu'elle avait entre les séances de pose photographiques. Elle n'osait plus jouer, de peur d'ouvrir ses yeux, à présent mi-clos et lourdement ombragés de faux cils. Et toute démonstration émotive eût nui à l'éclairage savant qui sculptait ses joues rondes... » Impitoyable, Louise Brooks conclut : « Chaque fois que je vois L'Ange bleu, je pleure un peu. »
Le couple cinématographique que forment durant cinq ans Marlene Dietrich et Josef von Sternberg mêle à une forme d'amour fou une étrange perversité, où voisinent fétichisme, ambiguïté sexuelle et masochisme. Une nouvelle écrite par Sternberg dans sa jeunesse, citée par Robert Benayoun, décrit un employé timide qui est fasciné par un mannequin de cire dans une vitrine, et rencontre bientôt une jeune femme, « réplique vivante de son idole ». Cette dialectique de l'idole sans vie et de la femme de chair est au cœur de la relation entre le Pygmalion et sa Galatée, comme elle demeurera la contradiction qui anime de bout en bout le mythe de Marlene.
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Écrit par :
- Joël MAGNY : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma
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Pour citer l’article
Joël MAGNY, « DIETRICH MARLENE - (1901-1992) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 24 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/marlene-dietrich/