MANGAS

Composé de deux idéogrammes polysémiques, le terme manga pourrait se traduire par « dessin au trait libre » ou « esquisse au gré de la fantaisie ». Au Japon, il désigne aujourd'hui une bande dessinée, quelle que soit son origine géographique. Or, en moins de quinze ans, la bande dessinée japonaise a conquis, sous le nom de mangas, de nombreux lecteurs francophones, remettant en cause la suprématie historique de la bande dessinée franco-belge. Elle se caractérise par une production pléthorique, fondée sur le principe du feuilleton et ciblée en fonction de l'âge et du sexe du lecteur, suscitant des récits qui jouent sur les attentes du public, entre identification et fantasme.

Les débuts du « Cri qui tue »

La paternité du terme manga dans le champ artistique revient au célèbre peintre Katsushika Hokusai, qui l'utilisa au début du xixe siècle pour désigner ses recueils de croquis et de caricatures. Mais selon le critique Natsume Fusanosuke, le mot était surtout employé auparavant pour décrire la façon dont les pélicans attrapaient dans leurs becs leurs proies, et c'est par analogie que Hokusai aurait emprunté ce terme pour désigner ses dessins piochés sur le vif.

Lorsqu'en 1978 Motoichi « Athos » Takemoto, jeune Japonais installé en Suisse, publie le premier numéro de la revue Le Cri qui tue, il ne se doute pas qu'il est le précurseur d'un mouvement destiné à bouleverser le marché de la bande dessinée européenne. Si l'on excepte la publication de quelques histoires de Hiroshi Hirata dans la revue d'arts martiaux Budo, à partir de 1969, c'est en effet dans ce périodique que furent présentées pour la première fois, de manière volontariste, au public francophone, des bandes dessinées japonaises traduites en français – mais faute de succès, la publication du Cri qui tue est interrompue en 1981, après six numéros. Il faut attendre le début de la décennie suivante pour que la bande dessinée japonaise connaisse ses premiers best-sellers en Europe francophone, sous l'impulsion notamment de l'éditeur français Jacques Glénat, fort de l'énorme succès de la série Dragon Ball d'Akira Toriyama, publiée en français à partir de 1991 (éd. or. 1984), et dont les ventes cumulées atteignent aujourd'hui 15 millions d'exemplaires.

Avec le recul, cette irruption des mangas dans le pré carré de la bande dessinée européenne apparaît inévitable. Premier producteur mondial de littérature dessinée, le Japon ne pouvait éternellement contenir une telle richesse à l'intérieur de ses frontières. Cependant, si la première tentative d'introduction des mangas en Europe se produisit à l'initiative d'un Japonais, ce sont par la suite des éditeurs européens qui tentèrent l'aventure. Suivant l'exemple de Glénat, pas moins de trente éditeurs francophones publient désormais des bandes dessinées traduites du japonais, les leaders du marché étant Kana – division du groupe Dargaud, premier éditeur de bande dessinée en Europe –, Glénat et Pika. On estime le nombre de nouveautés traduites du japonais pour l'année 2006 à plus de 1 300 titres, ce qui représenterait environ 40 p. 100 des bandes dessinées publiées sur le territoire francophone. On peut par ailleurs évaluer le nombre de séries traduites du japonais depuis le début des années 1990 à plus de six cents.

Si ces chiffres semblent impressionnants, notamment au regard de la quasi-absence des mangas sur le marché européen quinze ans plus tôt, ils sont pourtant dérisoires face à l'immensité de la production nippone présente et passée. À titre d'exemple, les ventes de mangas génèrent chaque année au Japon environ 4 milliards d'euros de bénéfices – partagés à 80 p. 100 entre trois géants de l'édition : Kōdansha, Shogakukan et Shūeisha –, soit un montant supérieur aux revenus suscités[...]

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. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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Autres références

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