FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s.

Quelle chronologie ?

Du point de vue chronologique, la littérature du xviiie siècle s’étend des dernières années du règne de Louis XIV à la Restauration. Les premières œuvres de Lesage, de Charles Dufresny, de Dancourt, celles de Bayle ou de Fontenelle, qui vécut de 1657 à 1757, enjambent le tournant du siècle et témoignent à leur façon de la « crise de la conscience européenne » qui donne son titre au livre célèbre de Paul Hazard, paru en 1935. De même, la dernière génération des Lumières rencontre les premiers romantiques : un écrivain comme Chateaubriand (1768-1848) se rattache par mille liens au siècle qui a vu sa jeunesse. On a pu parler d’un « siècle de deux cents ans » courant de 1600 à 1800, et sans doute peut-on observer de grandes tendances dans une vaste période qui s’étend de la fondation de l’Académie française en 1635 au romantisme : développement du rationalisme et de l’esprit critique, idéologies du progrès et premières remises en cause, importance de la littérature et du théâtre dans la formation de la conscience nationale et dans la politique de la monarchie, de la Première République et de l’Empire. À l’intérieur de cette période, on peut certes marquer des inflexions : autour de 1760, une crise féconde atteint la littérature des Lumières, marquant les chefs-d’œuvre que sont Candide, ou le Dictionnaire philosophiquede Voltaire, La Nouvelle Héloïse, Émile, Ducontrat social de Rousseau, Le Neveu de Rameau, La Religieuseou les Salons de Diderot. Il est pourtant vain de partager le siècle en deux comme on l’a fait autrefois et d’imaginer un premier demi-siècle qui serait celui de la raison ou du rococo, suivi d’un autre, marqué par la sensibilité, le prétendu« préromantisme », ou le « néoclassicisme ». Ces aspects existent de part et d’autre du mitan du siècle. La littérature de la décennie révolutionnaire a fait l’objet de multiples analyses et réévaluations depuis 1985. Sans doute nombre d’œuvres parues pendant cette période se rattachent-elles au siècle qui les précède, notamment du point de vue formel, mais la manière dont elles inscrivent la rupture capitale de l’histoire européenne leur confère une vive originalité. Quant aux écrivains de la dernière génération des Lumières, Condorcet, Germaine de Staël, Louis Sébastien Mercier, les idéologues (Cabanis, Destutt de Tracy, Volney, entre autres), ils ont fait l’objet de réévaluations critiques qui leur donnent leur véritable stature. Des romanciers comme Senancour, Sénac de Meilhan, Ducray-Duminil ont été placés sous un jour nouveau dès lors qu’on a renoncé à les ensevelir sous l’étiquette du « préromantisme ». En 1791, la loi de liberté des théâtres, qui fait quadrupler le nombre des salles de spectacle, ouvre une nouvelle période, qui voit notamment la naissance du mélodrame.

La littérature française du xviiie siècle concerne toute l’Europe, mais elle est en même temps profondément pénétrée par elle. La diffusion de la civilisation de cour, de la langue et de la littérature françaises est européenne, de même celle des modèles culturels qui lui sont associés. On écrit en français à la cour de Frédéric de Prusse ou à celle de Catherine II de Russie, comme dans la plupart des cours d’Europe. Rousseau, Constant, Germaine de Staël vivent ou sont nés dans des États helvétiques. Isabelle de Charrière est née aux Pays-Bas et a vécu à Neuchâtel. Maupertuis, La Mettrie ou Voltaire passent à Berlin une partie de leur vie. L’Europe tout entière emplit les Mémoiresde Casanova, Vénitien qui écrit en français. Même si le développement des littératures nationales correspond à un recul de l’influence française, celle-ci demeure immense jusqu’au premier tiers du xixe siècle. Inversement, la France découvre Shakespeare avec la traduction de Letourneur,[...]

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Écrit par

  • Pierre FRANTZ : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

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Pour citer cet article

Pierre FRANTZ, « FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIIIe s. », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

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