KAPLAN LESLIE (1943- )
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Leslie Kaplan est une écrivaine française, auteure de romans, de récits et de théâtre, née en 1943 à Brooklyn (New York) de parents américains issus de l’immigration juive polonaise.
À la Libération, son père, engagé dès 1942, reste en France comme attaché culturel d’ambassade. En 1946, sa mère rejoint son mari à Paris avec leur fille, puis deux frères naîtront. La famille habite Montparnasse et passe l’été aux États-Unis. Leslie étudie la philosophie, l’histoire et l’économie, découvre le militantisme politique contre les guerres d’Algérie puis du Vietnam. En janvier 1968, elle fait le choix politique de travailler en usine – de « s’établir », selon la terminologie militante –, et passe le mois de mai dans une usine lyonnaise occupée. En 1972, elle reprend des études de psychologie clinique, travaille avec des jeunes en souffrance, puis anime des ateliers d’écriture.
L’Excès-l’usine est publié par Paul Otchakovsky-Laurens en janvier 1982 chez Hachette. Maurice Blanchot et Marguerite Duras saluent la puissance du livre. Pour évoquer son expérience de l’« établissement » et l’usure des vies côtoyées, l’auteure refuse les clichés du naturalisme. Dans des fragments poétiques structurés en neuf chapitres – comme les cercles de l’Enfer –, un « on » anonyme rapporte les sensations de chacune et de toutes, dans l’indifférenciation que crée « la grande usine univers, celle qui respire pour vous ». Les métaphores de l’asile et du camp sont omniprésentes.
Leslie Kaplan publie ses livres suivants chez P.O.L, où, grande cinéphile, elleparticipe avec Serge Daney à la naissance de la revue Trafic en 1991. Pour elle, les exigences politique et poétique sont liées. La langue est politique, menacée par l’appauvrissement et les clichés d’un usage publicitaire. L’écriture telle qu’elle la conçoit recherche au contraire la façon la plus exacte de nommer les choses. Son histoire familiale lui a appris que le rapport entre les mots et les choses ne va pas de soi : elle a suivi l’école en français, mais l’anglais, lié à l’enfance, lu avec sa mère, revient par les chansons, comme revient aussi l’autre langue, perdue, ce yiddish que sa mère parle avec sa grand-mère l’été dans le New Jersey. L’arbitraire et l’étrangeté du langage nourrissent son écriture.
« Depuis maintenant »
Ce titre programmatique que Leslie Kaplan donne à ses romans depuis 1996 énonce son éthique : comprendre « depuis maintenant » le monde dans lequel nous vivons depuis Mai-68. Le premier opus, sous-titré Miss Nobody Knows(1996) invente un double de l’auteure : Marie, que l’on retrouvera dans Les Amants de Marie (2002), note et pose sans cesse des questions sans réponses qui brisent les évidences, sans ramener l’inconnu au connu. Le Psychanalyste (1999) plonge ses lecteurs, avec gravité et humour, au cœur du travail de la cure analytique et pose le problème de l’identité, notamment celle de sa narratrice à la fois témoin et omnisciente.
Mon Amérique commence en Pologne (2009) mêle autobiographie et essai, en replaçant l’émancipation de 1968 dans son contexte familial. Ses grands-parents polonais, émigrés aux États-Unis au tournant du xxe siècle pour fuir l’empire tsariste, ont échappé à la Shoah, qui leste néanmoins la mémoire familiale ; la mère de son premier amour, lumineuse survivante d’Auschwitz, le rappelle. Écrit après la mort de son père, Millefeuille (2012) est une réflexion légère sur la solitude de la vieillesse, qui invite à garder intacte la curiosité sans tricher avec l’angoisse. Leslie Kaplan écrit aussi des dialogues vifs et serrés pour le théâtre (Toute ma vie j’ai été une femme, 2008 ; Louise, elle est folle, 2011) et de courts récits à la fois drôles et engagés, comme L’Assassin du dimanche(2024), qui rend le droit d’agir à un chœur de femmes.[...]
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Écrit par
- Christine GENIN : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France
Classification
Autres références
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FEVER (L. Kaplan)
- Écrit par Christine GENIN
- 1 034 mots
Leslie Kaplan est née à New York en 1943, dans une famille juive d'origine polonaise, et a grandi à Paris où elle vit aujourd'hui. Étudiante en 1968, elle s'« établit » pour deux ans en usine, expérience qu'elle évoque de manière dépouillée et poétique dans L'Excès-l'usine...
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LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE
- Écrit par Dominique VIART
- 10 290 mots
- 10 médias
...l’écho. En 1982, deux titres remettent l’usine, et plus largement le monde ouvrier, sur une scène littéraire d’où les avant-gardes les avaient exclus. Leslie Kaplan, alors étudiante, s’était faite embaucher en usine au cours des années 1970, comme nombre de jeunes militants gauchistes soucieux de se rapprocher...