MOHOLY-NAGY LÁSZLÓ (1895-1946)
Art et industrie
En décembre 1921, l'installation à Berlin d'El Lissitzky, porte-parole du constructivisme russe, a produit un impact certain sur l'évolution de Moholy-Nagy. C'est la disparition du tableau lui-même qui est annoncée dans les Prouns de l'artiste russe : définis comme « stations d'aiguillage entre peinture et architecture », ces œuvres intègrent dès 1919 à l'espace flottant et infini du suprématisme des volumes projetés en axonométrie ainsi que des textures et des matériaux faisant référence à la construction architecturale. La série de peintures et de gravures Glassarchitektur commencée par Moholy-Nagy en 1922 présente une étroite affinité d'esprit avec ce principe. Dans Composition Q VIII (1922, huile sur toile, 96 cm × 75 cm, Museum des XX. Jahrhunderts, Vienne), par exemple, l'artiste hongrois élabore un équilibre de formes directement empruntées à l'abstraction géométrique russe (carré rouge, rectangle noir, croix noire). Il introduit aussi des effets de transparence évoquant le verre, qui perturbent la perception de l'espace. Des projections axonométriques à partir de 1924, puis l'utilisation de matériaux tels que l'aluminium ou la Bakélite à partir de 1926 viendront accentuer cet effacement des limites entre tableau, objet et projet. Dans un groupe de petits assemblages en métal, en bois et en verre exposés à la galerie Der Sturm la même année, Moholy-Nagy propose l'application de ces principes en trois dimensions. Bien que modeste en regard des expériences menées à la même époque par Alexandre Rodtchenko en Russie, ce travail sur les propriétés physiques et esthétiques des matériaux lui vaut de rejoindre le corps enseignant du Bauhaus. Le jeune Hongrois y remplace Johannes Itten dans la responsabilité du cours préliminaire, où il développe une approche à la fois visuelle et tactile des formes et des matériaux, encourageant l'élaboration de prototypes d'objets utilitaires, destinés à être reproduits en usine.
Par sa méthode de travail et ses réflexions théoriques, Moholy-Nagy opère une réinterprétation profonde du concept de création, et appelle l'art à s'annexer les modalités productives des nouveaux médias issus de l'industrie. Le geste provocateur des « tableaux téléphonés » équivaut ainsi à une prise de position : l'artiste passe commande auprès d'une usine d'enseignes de trois peintures à l'émail de porcelaine sur acier, qui seront exposées au Sturm en 1924. Em 1, Em 2, Em 3, déclinant la même composition en trois formats différents, sont virtuellement reproductibles en série et leur principe est si simple, selon leur auteur, qu'il était possible de les commander par téléphone.
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Écrit par
- Marcella LISTA : docteur en histoire de l'art, responsable de programmation au musée du Louvre
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