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L'INCONSCIENT DES MODERNES (J-M. Vaysse) Fiche de lecture

Le sous-titre de L'Inconscient des Modernes : Essai sur l'origine métaphysique de la psychanalyse (Gallimard, 1999) en indique d'emblée les enjeux et les ambitions. Il ne s'agit pas pour Jean-Marie Vaysse de simplement rapporter les concepts forgés par Freud à leurs racines métaphysiques afin d'en finir avec une entreprise jugée philosophiquement naïve, ni de faire le procès de la philosophie à l'aune d'une « science » de l'inconscient censée avoir le dernier mot. « Là où était le sujet moderne, l'inconscient devait advenir ; là où est advenu l'inconscient, la philosophie doit revenir. » C'est ce chiasme entre philosophie et psychanalyse qu'il s'agit de penser, la psychanalyse devant justifier la formation historique de ses concepts face à la philosophie, la philosophie étant de son côté contrainte de reconnaître ce qui a nié sa propre suprématie.

Avec patience, cet essai montre comment la notion d'inconscient ne pouvait surgir que sur le fond de la philosophie moderne du sujet inaugurée par Descartes, et comment la découverte freudienne de l'inconscient est tributaire, à son corps défendant et souvent dans la dénégation, d'une tradition qu'elle critique au nom d'un scientisme philosophiquement naïf. L'Inconscient des Modernes, ce titre doit être lu dès lors de deux façons : une pensée de l'inconscient n'a été possible qu'à partir de la position moderne de la subjectivité comme fondement sur lequel tout prend sens et cohérence. En retour, « la pensée moderne rend également possible l'inconscient comme principe de remise en cause de la souveraineté du sujet ». Si bien que « le problème n'est point tant : “Freud contre Descartes”, que : “Freud, dernier héritier de Descartes” ». Afin d'établir cette thèse, l'auteur procède à des analyses denses et difficiles de la question de la subjectivité qui, de Descartes à Heidegger, passent par Spinoza, Leibniz, Kant, Fichte, Schelling, Schopenhauer, Nietzsche et Husserl, la dernière partie étant plus spécifiquement consacrée à la question de l'inconscient chez Freud et Lacan.

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Sans pouvoir entrer dans le détail d'analyses, qui chacune prise séparément constitue un véritable essai, il est nécessaire d'en souligner la méthode et d'attirer l'attention sur quelques points. Plus proche de la Généalogie de la psychanalyse (1985) de Michel Henry que De l'interprétation (1965) de Paul Ricœur, Jean-Marie Vaysse cherche avant tout à mettre à jour les soubassements métaphysiques « refoulés » des concepts freudiens, plus qu'à discuter la cohérence interne et la valeur clinique de la pratique psychanalytique. C'est peut-être pourquoi l'œuvre de Lacan, le plus philosophe des psychanalystes, est privilégiée, même si les limites de sa conceptualité (par exemple dans sa lecture de Kant au sujet du désir et de ses liens à la loi) sont âprement, mais sans polémique, interrogées. C'est donc dans une « histoire de la subjectivité » que l'inconscient est réinscrit, pour aboutir à la conclusion que « la psychanalyse n'est point tant un commencement qu'un accomplissement », et que seule « une reprise à partir des questions de Heidegger permettrait à la psychanalyse de s'émanciper de la métaphysique ».

Cette généalogie déconstructrice ainsi opérée, reste à poser à nouveaux frais la question de la conscience afin d'éviter les retours, ces derniers temps florissants, aux philosophies du sujet. « En d'autres termes, que veut dire être soi-même, une fois admis que le sujet n'est plus un fondement substantiel et que la transcendance de l'Autre s'est effacée ? » La pensée de Spinoza (auquel l'auteur, en 1994, a consacré un ouvrage : Totalité et subjectivité. Spinoza dans l'idéalisme allemand) joue ici un rôle déconstructeur à l'égard de celle de Descartes, un peu comparable à celui de Lacan pour Freud, même si en elle « culmine le grand savoir de l'âge classique ». Spinoza est celui qui subvertit la tradition, émancipe « la question de l'être à l'égard de la théologie » et conçoit le travail philosophique comme cure en vue d'un salut rationnel. Détruire les illusions issues de nos croyances en la finalité et en la liberté, tel est le sens des analyses de l'auteur de l'Éthique. La conscience n'est pas le tout de la pensée, et la pensée elle-même n'est pas maîtresse de nos appétits. Véritable « science des affections de l'âme humaine », la philosophie comme connaissance rationnelle est proche, avec Spinoza, des buts de la cure psychanalytique. Le débat de Heidegger (autre penseur majeur dans la reconduction de la subjectivité à ses fondements métaphysiques) avec Freud est repris dans le dernier chapitre de l'ouvrage avec une grande clarté : d'une part, Heidegger soucieux de se démarquer de la psychanalyse, ainsi que de la Daseinsanalyse de Binswanger, voit en elles les derniers avatars de la métaphysique des Modernes. Mais, d'autre part, force est de constater, à partir du « retour à Freud » opéré par Lacan, que l'analytique freudienne est irréductible à « une psychologie du comportement et une technique de normalisation » tributaires d'une pensée traditionnelle de la subjectivité.

Ce livre difficile, d'une rare densité et qui montre une grande maîtrise des champs qu'il parcourt, peut être considéré comme une remarquable généalogie de la modernité lue à partir de la question de l'inconscient. Philosophes et psychanalystes devraient y trouver de quoi alimenter leur réflexion ; leurs rapports ne pourront plus désormais se satisfaire des exclusions complices et des ressemblances naïves qui ont trop souvent marqué le dialogue qu'ils ont cru entretenir.

— Francis WYBRANDS

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