UHLENBECK KAREN (1942- )
Karen Uhlenbeck, née Karen Keskulla le 24 août 1942 à Cleveland (Ohio), est une mathématicienne américaine. Après des études à l’université du Michigan puis au Courant Institute à New-York, elle soutient en 1968 une thèse de doctorat dirigée par Richard Palais à l’université Brandeis de Waltham (Massachusetts). Elle est nommée professeure à l’université de Chicago en 1983, puis devient en 1988 professeure à l’université d’Austin. La carrière de Karen Uhlenbeck est ponctuée de nombreux prix et récompenses, comme le prix MacArthur en 1983 et la National Medal of Science en 2000. Elle est conférencière plénière au Congrès international des mathématiciens en 1990 à Kyōto. En 2019, Karen Uhlenbeck reçoit le prix Abel, l’une des deux plus prestigieuses distinctions en mathématiques avec la médaille Fields, « pour ses travaux pionniers dans le domaine des équations aux dérivées partielles d’origine géométrique, de la théorie de jauge et des systèmes intégrables, et pour l’impact fondamental de ses résultats sur l’analyse, la géométrie et la physique mathématique ».
Les travaux de Karen Uhlenbeck portent pour une large part sur des objets centraux et historiques du calcul des variations, une branche des mathématiques que l’on peut faire remonter au moins au xviie siècle. Parmi les objets que cette théorie se propose d’étudier, on peut citer en premier lieu les géodésiques et les surfaces minimales : il s’agit de trouver et de décrire des solutions qui minimisent des fonctions telles que la longueur (pour les géodésiques) ou l’aire (pour les surfaces minimales), et cela dans une classe d’objets géométriques admissibles (courbes ou surfaces). Une des premières difficultés consiste à trouver une modélisation adéquate des objets géométriques (ici, courbes ou surfaces). Une approche directe est proposée par la théorie de la mesure géométrique, initiée en particulier par Herbert Federer dans les années 1960. Pour les courbes et les surfaces, on peut aussi utiliser une approche paramétrique, qui consiste à représenter les objets à l’aide d’un paramétrage, c’est-à-dire une famille de fonctions réelles sur un ensemble de référence donné (le plus souvent un intervalle ou un cercle pour les courbes, un disque ou une sphère pour les surfaces) dont l’image représente l’objet géométrique. Dans ce contexte, la fonction longueur pour les courbes s’exprime comme l’intégrale sur l’ensemble de référence du module de la dérivée du paramétrage, alors que, pour les surfaces, l’aire coïncide, dans le cas de paramétrages conformes (ceux qui conservent les angles), avec l’intégrale du carré du module du gradient, cette dernière fonction étant appelée « énergie de Dirichlet » du paramétrage. La condition du premier ordre pour un minimum s’exprime alors sous la forme d’une équation différentielle (pour les courbes) et d’une équation aux dérivées partielles elliptique (pour les surfaces). Par exemple, lorsque l’on considère des surfaces minimales dans l’espace euclidien, les paramétrages conformes sont des fonctions harmoniques.
C’est en utilisant l’approche paramétrique, qui se situe à l’intersection de l’analyse, de la théorie des équations aux dérivées partielles et du calcul des variations, que Karen Uhlenbeck a obtenu des résultats fondamentaux concernant les surfaces minimales. Dans les années 1930, Jesse Douglas et Tibor Radó avaient déjà utilisé indépendamment cette méthode pour établir l’existence de surfaces minimales dans l’espace, lorsque la courbe qui définit le bord de la surface est donnée. Dans un travail en commun avec Jonathan Sacks, Karen Uhlenbeck démontre en 1981 l’existence de telles surfaces minimales paramétrées par une sphère lorsqu’elles sont à valeurs dans une variété (une notion qui généralise celle de surface en dimensions supérieures) sous certaines hypothèses topologiques sur cette dernière. La méthode consiste à choisir des suites minimisantes appropriées et à étudier leur convergence. Elle se heurte à la non-unicité des paramétrages d’une surface, en particulier au problème de l’invariance conforme (liée aux changements de paramétrages qui conservent les angles, mais changent éventuellement les échelles) : il est en effet possible que les suites minimisantes se concentrent en des points donnés. C’est l’analyse fine de ce phénomène de concentration, appelé aussi formation de « bulles », qui permet de conclure, en montrant que les « bulles » étaient elles-mêmes des surfaces minimales. Outre le résultat en lui-même, leur méthode a été une source d’inspiration en analyse non linéaire et en géométrie. La concentration d’énergie ou la formation de « bulles », qui apparaîtra ensuite dans de multiples problèmes géométriques, sera formalisée en 1983 par Pierre-Louis Lions dans son principe de concentration-compacité.
Avec Richard Schoen de l’université Stanford, Karen Uhlenbeck s’est intéressée aux minima de l’énergie de Dirichlet pour des applications à valeurs dans des variétés. De tels minima sont appelés « applications harmoniques » minimisantes, par analogie avec les fonctions harmoniques. Ces questions sont motivées par la physique, en particulier la théorie des cristaux liquides, pour laquelle la variété d’arrivée est une sphère. Schoen et Uhlenbeck démontrent ainsi qu’en dimension trois, les applications harmoniques minimisantes sont régulières, sauf éventuellement en un nombre fini de points. Près de ces points, appelés « singularités », les applications harmoniques ne sont pas continues, mais Schoen et Uhlenbeck fournissent une description fine du comportement de ces applications près des singularités.
Les fonctionnelles de Yang-Mills constituent un autre axe important des recherches de Karen Uhlenbeck. Ces dernières ont été introduites en physique théorique pour décrire les interactions à l’intérieur du noyau atomique. Il s’agit de théories non linéaires portant sur des objets, les « connexions », qui ont de grandes analogies avec le potentiel vecteur en électromagnétisme. Comme pour ce dernier, nous sommes en présence d’un groupe d’invariance, des connexions différentes pouvant correspondre au même état physique. De manière surprenante, leur théorie s’est révélée un outil extrêmement fécond en topologie, comme l’illustrent les travaux de Simon Donaldson, pour décrire la topologie des variétés de dimension quatre. Karen Uhlenbeck a ouvert la voie au traitement analytique de ces objets, en montrant que l’on pouvait imposer des conditions supplémentaires sur les connexions, afin d’éliminer le groupe d’invariance. La méthode utilisée repose sur le principe de continuation, utilisé déjà au xixe siècle par Henri Poincaré.
Outre ses activités de recherche, Karen Uhlenbeck est très engagée dans la diffusion de la science. Elle est, avec son collègue Dan Freed, à l’origine d’un modèle original d’école d’été où se côtoient chercheurs, étudiants et enseignants du secondaire, le Park City Mathematics Institute dans l’Utah, créé en 1991, placé maintenant sous l’égide de l’Institute for Advanced Studies (IAS) de Princeton, dans le New Jersey.
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Écrit par
- Fabrice BETHUEL : professeur au Laboratoire Jacques-Louis Lions, Sorbonne université
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