JEUX OLYMPIQUES La notion d'amateurisme
Deux épreuves d'athlétisme particulières sont inscrites au programme olympique des Jeux de Stockholm en 1912 : le pentathlon et le décathlon. Celles-ci combinent courses, sauts et lancers, ce qui doit permettre de couronner un sportif complet. Les Suédois sont ravis, car ils présentent trois concurrents redoutables, Hugo Wieslander, qui a établi en 1911 le record du monde du pentathlon et a battu trois fois le record du monde du décathlon, Charles Lomberg et Gösta Holmér. Or, à la surprise de tous, c'est l'Américain Jim Thorpe, un Indien né dans une réserve de l'Oklahoma, qui remporte les deux épreuves en dominant très nettement tous ses rivaux. Il réalise de formidables performances : dans le décathlon, il devance Hugo Wieslander de près de 700 points, un écart record qui ne sera jamais égalé aux Jeux. Ses exploits lui valent l'admiration des Suédois, dont l'esprit sportif et le fair-play ne sont pas une légende ; il est même chaudement félicité par le roi Gustave V. De retour aux États-Unis, Wa-Tho-Huck (« Sentier brillant ») – c'est le nom indien de Jim Thorpe – se voit fêté comme un héros national : au regard de la discrimination raciale qui sévit alors aux États-Unis et de la condition qui est celle des Indiens, ce triomphe constitue sans doute le plus beau des succès de Jim Thorpe. Même le président William Howard Taft lui adresse une lettre de félicitations : « J'ai grand plaisir à vous féliciter pour vos magnifiques victoires aux jeux Olympiques. Vos exploits sont de ceux dont on peut être fier ; ils constituent un précieux encouragement pour tous ceux qui seront tentés de s'inspirer de l'exemple du plus valeureux de tous les citoyens américains. »
Mais, en 1909, Jim Thorpe évolua au sein de l'équipe professionnelle de base-ball de Rocky Mount (Caroline du Nord), dans une ligue mineure : il toucha pour cela quelques poignées de dollars. Surtout, contrairement à nombre de ses partenaires désireux de conserver leur statut « amateur », il omit de prendre un pseudonyme et joua sous son propre nom.
La gloire soudaine de Thorpe provoque rapidement sa perte. L'origine de la disgrâce du champion demeure floue : selon certaines sources, un des anciens équipiers de Thorpe le reconnut sur une photo prise à Stockholm et vendit l'information ; selon d'autres, c'est un journaliste de Worcester (Massachusetts) qui reconnut en l'homme qui faisait alors la une du New York Times l'ancien joueur de base-ball et qui propagea l'information... Le nom du honteux délateur demeure mystérieux – que ne ferait-on pas pour quelques dollars ou un scoop, surtout quand il s'agit de livrer en pâture un descendant d'Indiens ? –, mais la suite est connue. L'Amateur Athletic Union (A.A.U., Fédération américaine d'athlétisme) ouvre une enquête ; Thorpe prouve sa bonne foi, convainc ses juges qu'il n'avait pas connaissance des règlements concernant l'amateurisme, propose même de rendre ses primes de match. Rien n'y fait : James Sullivan, l'inflexible président de l'A.A.U., disqualifie rétroactivement Thorpe, efface ses records et transmet le dossier au C.I.O. Le 27 janvier 1913, Thorpe est déchu de ses deux titres olympiques, se voit sommé de rendre ses médailles d'or, lesquelles sont réattribuées au Norvégien Ferdinand Bie (pour le pentathlon) et à Hugo Wieslander (pour le décathlon) ; ces deux champions, estimant avoir été battus sur le stade par un champion plus fort qu'eux et qui n'avait pas triché, refuseront ces médailles. Thorpe ne sera réhabilité par le C.I.O. qu'en 1982, près de trente ans après sa mort.
La rigidité originelle du C.I.O.

Aviron : Oxford-Cambridge, 1931
Keystone-France/ Gamma-Rapho/ Getty Images
Aviron : Oxford-Cambridge, 1931
En matière d'« amateurisme », les Anglais avaient une conception beaucoup plus élitiste que Pierre…
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Dès la rénovation olympique, la question de l'amateurisme se trouve au cœur du projet. En effet, lors du congrès fondateur[...]
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
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Pour citer cet article
Pierre LAGRUE, « JEUX OLYMPIQUES - La notion d'amateurisme », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :