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MALAURIE JEAN (1922-2024)

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Jean Malaurie - crédits : Frederic Reglain/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Jean Malaurie

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Le géographe, explorateur et   ethnologue français Jean Malaurie est connu pour ses recherches sur le Grand Nord, notamment le Groenland, et pour avoir fondé et dirigé de 1955 à 2015 la collection Terre humaine, aux éditions Plon.

Né le 22 décembre 1922 à Mayence, en Allemagne, où son père enseignait l’histoire, Jean Malaurie fait ses études à l’Institut de géographie de l’université de Paris sous la direction d’Emmanuel de Martonne, qui lui propose de participer en 1948 aux expéditions polaires de Paul-Émile Victor pour y étudier la formation de la Terre et celle de la glace. Il effectue ensuite des missions en solitaire dans le désert du Hoggar (Sahara algérien) puis dans le nord du Groenland. Le 16 juin 1951, Malaurie découvre à Thulé une base militaire secrète construite par les États-Unis et destinée à accueillir des bombardiers nucléaires. Il dénonce publiquement cette implantation et publie alors Les Derniers Rois de Thulé, premier livre de la collection Terre humaine, aux éditions Plon, en 1955. Dans cette collection, il accueillera par la suite des récits de voyage qui feront connaître au grand public des sociétés jusqu’ici essentiellement vues sous l’angle de l’exotisme ou de la disparition qui les menace : Tristes Tropiquesde Claude Lévi-Strauss, Les Immémoriaux de Victor Segalen, Ishi. Testament du dernier Indien sauvage de l'Amérique du Nord de Theodora Kroeber, Le Cheval d’orgueil de Pierre-Jakez Hélias, ou encore L’Été grec de Jean Lacarrière.

Même s’il ne parlait pas le langage des Inuit et projetait parfois sur leurs pratiques les rêves romantiques de son enfance au bord du Rhin, Jean Malaurie a été un grand défenseur des populations du Groenland par son action scientifique et institutionnelle. En 1957, il est élu à la première chaire de géographie polaire de France, créée au sein de l’École pratique des hautes études (EPHE), et fonde le Centre d’études arctiques. En 1960, grâce au concours de Fernand Braudel, il lance la revue Inter-Nord. En 1962, il soutient sa thèse à l’université de Paris sous le titre Thèmes de recherche géomorphologique dans le nord-ouest du Groenland.

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Jean Malaurie dirige en 1968-1969 la section française de la Commission gouvernementale franco-québécoise au moment de la création du territoire autonome du Nouveau-Québec, qui prendra le nom de Nunavik. En 1990, il mène la première expédition franco-soviétique en Tchoukotka sibérienne : il étudie alors une zone géographique connue depuis sous le nom d’Allée des baleines et qu’il qualifie de « Delphes de la Tchoukotka ». Deux ans plus tard, il participe à la fondation de l’Académie polaire d’État à Saint-Pétersbourg, école des cadres sibériens qui compte environ 1 000 élèves. Il fonde également en 2010 à Uummannaq (Groenland) le Pôle inuit-Institut Jean-Malaurie.

La collection Terre humaine a publié plusieurs autres ouvrages qui témoignent de la vitalité des sociétés inuit et des émotions et réflexions qu’elles ont suscitées chez Jean Malaurie. Il s’agit d’abord des quatre volumes de journaux publiés sous le titre Hummocks entre 1999 et 2005 puis de ses mémoires publiés en 2022 sous le titre De la pierre à l’âme. La prescience sauvage. Mémoires. Le géographe devenu ethnologue se peint lui-même comme le dernier d’une génération d’intellectuels ayant refondé les sciences au sortir de la Seconde Guerre mondiale et le dernier héritier du constructeur de la station permanente de l’île de Thulé, l’explorateur danois Knud Rasmussen. La pluralité des connaissances sensorielles et « hypersensorielles » qu’il a découvertes auprès des Inuit lui ont fait valoriser le contact comme forme première et indépassable du savoir. Connaître vraiment une chose, une personne, une idée, un événement, un esprit ou une divinité nécessite selon lui d’établir avec eux un contact direct. Jean Malaurie affirme que ce qui n’est pas éprouvé directement et personnellement est inconnaissable, et c’est pourquoi il admire les efforts de ses maîtres chamanes pour explorer par la danse, la musique, la transe tous les moyens de créer une zone et un moment de contact avec ce que la raison occidentale qualifie d’abstractions ou de chimères et a toujours cherché à modéliser. « Blanc inuitisé », « homme qui parle aux pierres », Jean Malaurie raconte dans ses mémoires ses contacts avec des mondes finissants à travers des conversations avec Lucien Febvre, Gaston Bachelard ou Charles Morazé.

Jusqu’à la fin de sa vie centenaire – il est décédé le 5 février 2024 à Dieppe (Seine-Maritime) –, Jean Malaurie aura été le témoin sensible d’un monde perdu, celui de son enfance sur le Rhin autant que celui des Inuit du Groenland.

— Frédéric KECK

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Écrit par

  • : directeur de recherche CNRS, membre du Laboratoire d'anthropologie sociale

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Jean Malaurie - crédits : Frederic Reglain/ Gamma-Rapho/ Getty Images

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Autres références

  • L'ART DU GRAND NORD (dir. J. Malaurie) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 125 mots

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