JANSÉNISME
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Un mouvement multiforme
L'« Augustinus » et Port-Royal
Le jansénisme fut d'abord une doctrine théologique fondée sur les écrits antipélagiens de saint Augustin. Après Baïus (1513-1589), le Hollandais Jansen (1585-1638), évêque d'Ypres, affirma que, depuis le péché originel, la volonté de l'homme sans le secours divin n'est capable que du mal. Seule la grâce efficace peut lui faire préférer la délectation céleste à la délectation terrestre. Cette grâce est irrésistible, mais n'est pas accordée à tous les hommes. Le jésuite Luis de Molina (1536-1600) avait au contraire assuré qu'une grâce suffisante apporte en toute circonstance le concours divin nécessaire pour faire le bien : libre à chacun d'utiliser ou non ce concours.
Les polémiques suscitées par Baïus et Molina avaient incité Rome à décider, en 1611, qu'on ne devait rien publier sur la grâce sans l'expresse permission du Saint-Office : ce qui n'empêcha pas la parution de l'Augustinus deux ans après la mort de son auteur. Immédiatement attaqué par les Jésuites et rapidement édité en France, l'Augustinus eut pour éloquent défenseur Antoine Arnauld (1612-1694) dans deux Apologies pour Jansénius (1644-1645). Disciple de Saint-Cyran alors emprisonné (celui-ci était de longue date l'ami de Jansénius) et frère de la mère Angélique, la réformatrice de Port-Royal, Arnauld fut le principal propagateur du jansénisme en France. Et Port-Royal (à savoir : le couvent proprement dit de la vallée de Chevreuse, avec à proximité quelques pieux « solitaires », et l'annexe du faubourg Saint-Jacques) devint le centre de diffusion de l'extrémisme augustinien.
Après 1650, une série de condamnations tombent sur le jansénisme, et commence un drame à multiples rebondissements. En 1653, la bulle Cum occasione, renouvelée trois ans plus tard, frappe d'anathème cinq propositions tirées de l'Augustinus. En 1656, Arnauld est exclu de la Sorbonne. L'autorité s'étant prononcée, le débat va-t-il être clos ? Non, car, dès 1654, Nicole et Arnauld ont proposé le célèbre distinguo entre le droit et le fait ; les cinq propositions sont bien hérétiques, mais parce qu'on leur a donné un sens qui n'est pas celui de Jansénius. Quant à Pascal, il ironise dans les Provinciales (1656-1657) sur la « grâce suffisante qui ne suffit pas ». L'épiscopat français et le pape décident alors d'imposer aux prêtres, religieux et religieuses, et même aux laïcs qui enseignent, un formulaire d'obéissance aux décisions romaines condamnant les cinq propositions. Mais quatre évêques, plusieurs prêtres et les nonnes de Port-Royal refusent de signer sans distinguer le droit du fait. Arnauld se cache ; Lemaistre de Sacy est embastillé ; les religieuses récalcitrantes de Port-Royal de Paris sont déportées aux Champs, enfermées dans ce monastère, excommuniées. Après cet affrontement la modération l'emporte, aidée par la lassitude. Par la « paix de l'Église », Rome consent tacitement au distinguo d'Arnauld, la signature signifiant alors, au fond, le rejet des doctrines anathématisées. Cette paix n'est qu'un intermède, qui donne toutefois à Port-Royal des Champs et à ses amis dix années de répit et de rayonnement. Puis les polémiques reprennent. En 1679, Port-Royal se voit interdire de recevoir des novices, tandis qu'Arnauld s'enfuit aux Pays-Bas. Là, il est rejoint, en 1685, par l'oratorien Quesnel qui va être l'homme du second jansénisme.
Le Français Blaise Pascal (1623-1662). Philosophe, théologien et homme de lettres, Pascal fut également homme de science. On lui doit l'invention d'une machine arithmétique et la conception du baromètre, de la seringue et de la presse hydraulique.
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Isaac Louis Le Maître de Sacy, P. de Champaigne
Philippe de Champaigne (1602-1674), Isaac Louis Le Maître de Sacy (1613-1684). 1646 ou 1648. Huile sur toile. 53 cm X 45 cm. Musée national des Granges de Port-Royal. Magny-les-Hameaux, Yvelines..
Crédits : DeAgostini/ Getty Images
Le second jansénisme
Pasquier Quesnel (1634-1719) a publié en 1671 des Réflexions morales sur le Nouveau Testament progressivement enrichies jusqu'à la monumentale édition de 1695. Bossuet et Noailles – qui devient archevêque de Paris – ont approuvé cet ouvrage « plein d'onction » qui s'efforce d'être thomiste et prône une piété bérullienne. Mais il est vrai aussi qu'il refuse la rédemption universelle. Or, cette réédition survient à un moment où le jansénisme relève la tête : à preuve la publication en 1696 de l'Exposition de la foi catholique touchant la grâce et la prédestination qu'avait autrefois rédigée un extrémiste augustinien, Martin de Barcos (1600-1678), neveu de Saint-Cyran, et aussi la diffusion, en 1702, du Cas de c [...]
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Écrit par :
- Louis COGNET : professeur à l'Institut catholique de Paris
- Jean DELUMEAU : professeur honoraire au Collège de France, membre de l'Institut
- Maurice VAUSSARD : homme de lettres.
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APPELANTS, histoire religieuse
Jansénistes, adversaires de la constitution Unigenitus au xviii e siècle. La « paix de l'Église », imposée par Clément IX, en 1668, aux querelles autour du jansénisme, a régné à peu près, surtout en France, jusqu'au pontificat de Clément XI (élu en 1700). En 1702, un « cas de conscience », signé de quarante docteurs de Sorbonne, déclara suffisante, sur la « question de fait » (la présence effect […] Lire la suite
ARNAULD, ARNAULT ou ARNAUT LES
Famille originaire d'Auvergne, établie à Paris au milieu du xvi e siècle, époque de sa première ascension et, sans doute, de son anoblissement. Gens de loi et de finances, hommes d'épée, hommes d'État s'y côtoient. Cependant c'est dans le domaine des lettres et surtout dans celui de la vie religieuse qu'elle atteindra sa plus haute illustration. Elle compte quatre générations remarquables. À la p […] Lire la suite
ATHALIE, Jean Racine - Fiche de lecture
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Dans le chapitre « La crise de la Réforme et le jansénisme » : […] C'est essentiellement autour du problème de la justification que, au xvi e siècle, se sont affrontés théologiens catholiques et réformés. Contre une Église qui leur paraît laxiste et corrompue, les réformateurs Luther, Calvin, Zwingli interprètent l'enseignement de l'apôtre Paul à la lumière des théories augustiniennes. Ils en adoptent la plus extrême sévérité, en insistant sur le péché originel, […] Lire la suite
BAÏUS MICHEL DE BAY dit (1513-1589)
Né à Meslin, dans le Hainaut, Michel de Bay, dit Baïus, doit sa célébrité à la polémique qu'il engagea sur la question de la grâce et de la prédestination. La controverse allait, après sa mort, connaître un éclatant rebondissement avec la querelle du jansénisme. Étudiant à l'université de Louvain, président, en 1541, du collège de Standonck, docteur en théologie en 1550, successeur de Hasselius, B […] Lire la suite
BARCOS MARTIN DE (1600-1678)
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BENOÎT XIV, PROSPERO LAMBERTINI (1675-1758) pape (1740-1758)
Né à Bologne, Prospero Lambertini, pourvu d'une solide formation théologique et canonique, mena de front une vie de fonctionnaire ecclésiastique, exerçant diverses charges au sein de l'administration pontificale, et une vie de recherche scientifique, qui le maintint en liaison avec les grands érudits de son temps, Assemani, Mabillon, Montfaucon, Muratori. Archevêque d'Ancône (1727), puis de Bologn […] Lire la suite
CALVINISME
Dans le chapitre « Calvinisme et jansénisme » : […] Dans ses grandes lignes, le calvinisme a la position que devait avoir un siècle plus tard le jansénisme. La parenté est étroite, car ils ont le même maître, saint Augustin. La pensée de Calvin est sous-tendue par celle du grand docteur africain. « Il s'accorde si bien en tout et partout avec nous, dit Calvin, il est tellement nôtre que, s'il me fallait écrire une confession sur cette matière [de l […] Lire la suite
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Dans le chapitre « La liberté, fille du christianisme » : […] Il existe en effet une famille de catholiques qui croient à la liberté pour elle-même : ce sont eux les catholiques libéraux authentiques. À leurs yeux, la liberté se justifie pour elle-même, indépendamment des avantages qui peuvent en résulter pour l'Église. Elle est au reste fille du christianisme : c'est l'Évangile qui en a inculqué la notion aux hommes, c'est l'Église qui, au cours des siècles […] Lire la suite
Voir aussi
Pour citer l’article
Louis COGNET, Jean DELUMEAU, Maurice VAUSSARD, « JANSÉNISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 14 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/jansenisme/