I.V.G. (Interruption volontaire de grossesse)

La gestation humaine dure neuf mois. Lorsqu'elle est interrompue après le sixième mois, c'est un accouchement prématuré ; avant le sixième mois, il s'agit d'avortement, spontané ou provoqué. L'avortement provoqué a toujours été une pratique largement répandue dans tous les pays et à toutes les époques. Diverses méthodes empiriques étaient utilisées par les femmes elles-mêmes ou par des tierces personnes, avec les risques plus ou moins graves qu'elles comportaient : mortalité, infections (tétanos), hémorragies, embolies, avec, comme séquelle définitive, la stérilité. Interdit en France par deux lois de 1920 et 1923, l'avortement fut longtemps difficile à chiffrer. Dans son livre Des enfants malgré nous (1956) qui fit scandale parce qu'il dénonçait avec précision l'horreur de l'avortement clandestin, Jacques Derogy donnait le chiffre, sans doute excessif, d'un million d'avortements par an. Au début des années 1970, les évaluations les plus sérieuses faisaient état d'environ 300 000 avortements par an.

Les conditions misérables imposées aux femmes voulant avorter, particulièrement aux plus pauvres, furent un des puissants leviers de révolte et de libération des femmes à partir des années 1960, lorsque les conditions socio-économiques et les progrès de la médecine leur permirent de conquérir de nouveaux droits, au nom du principe de libre disposition de leur corps et de la maîtrise de leur fécondité. Les mouvements féministes et l'écho favorable qu'ils rencontrent dans l'opinion publique sont ainsi en grande partie à l'origine des législations plus libérales sur l'avortement adoptées en Europe comme aux États-Unis à partir des années 1970. Ces législations ont été condamnées pour des raisons éthiques et religieuses, en particulier par l'Église catholique, et restent violemment combattues par des mouvements minoritaires mais très actifs en Amérique et en Europe.

En France, la loi du 17 janvier 1975, dite loi Veil, s'inscrit dans cette perspective. Elle vise à mettre un terme aux pratiques clandestines dangereuses, en dépénalisant l'avortement et en le médicalisant sous le nom d'interruption volontaire de grossesse (I.V.G.). Cette loi est le résultat d'une mobilisation politique et militante intense de divers mouvements de femmes et féministes que Mai-68 a prolongée et amplifiée dans un climat de soudaine rupture.

Les luttes pour la légalisation de l'avortement

Le corps et la sexualité sont au cœur des nouveaux droits revendiqués par les femmes immédiatement après Mai-68, parce qu'ils ont longtemps été le lieu de leur oppression. Le slogan : « Notre corps nous appartient » clamé par les femmes, résume leur lutte. Celle-ci est décrite par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe publié en 1949 : refuge de « l'espèce » qui s'insinue en elles à leur corps défendant et rivées à leur foyer par des maternités non désirées, les femmes sont exploitées par les hommes qui ont intérêt à les maintenir dans une position subordonnée pour jouir gratuitement d'un travail domestique non rémunéré. Quelle place trouve le droit à l'avortement dans cette rupture ?

Une revendication élémentaire

Tous les mouvements féministes n'ont pas revendiqué avec la même force ce droit. De l'aveu même de ses plus ardents défenseurs, il ne vaut que comme ultime garantie d'une libre disposition de leur corps par les femmes, en des temps où la contraception restait insuffisamment connue et pratiquée : malgré la loi Neuwirth de 1967, seules 7 p. 100 des femmes françaises y avaient recours en 1972, alors que l'avortement était encore un délit. Ainsi, bien que la contraception ait été et reste encore aujourd'hui l'horizon déclaré des droits des femmes, c'est par[...]

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Écrit par

  • Muriel ROUYER : professeur de science politique
  • Odette THIBAULT : docteur ès sciences biologiques, ancien maître de recherche au C.N.R.S., journaliste scientifique
  • Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis, Muriel ROUYER, Odette THIBAULT, « I.V.G. (Interruption volontaire de grossesse) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Autres références

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