INSTALLATION, art
L'immersion par la couleur
La seconde direction prise par l'art de l'installation est proche des théories développées dans Phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty (1945). L'expérience plastique du sensible s'opère à travers un premier élément déclencheur : la couleur. Un des prototypes d'installation immersive est l'exposition d'Yves Klein (1928-1962), « Le vide », inaugurée le 28 avril 1958 à la galerie Iris Clert, à Paris. Cette initiation au monde suprasensible de l'immatériel se traduit par un bain conditionnant de couleur bleue, visible (un dais de tissu bleu) et absorbable sous la forme d'une boisson à base de bleu de méthylène, avant d'inviter à l'immersion dans une salle d'exposition de 20 mètres carrés à la blancheur immaculée. Le vide supposé est ici un espace de sensibilité accru, conduisant à une expérience incarnée et spirituelle qui fut comprise un peu trop rapidement comme un geste d'annihilation de l'art, voire un art du rien. Yves Klein a ouvert la voie à des artistes soucieux de révéler une hyper-acuité, une perception « mystique » située au-delà de l'iconographie et du visible. L'Américain James Turrell compose des « fenêtres-espace », libérant le spectateur par une immersion rétinienne totale dans des bains lumineux et colorés, aboutissant à une sur-stimulation de la vision. L'expérience des Light Spaces (depuis 1991) de Turrell offre une désorientation totale dans un dispositif réduit au minimum : une salle divisée en fonction d'un cadre qui laisse filtrer une lumière colorée, dense et envahissante. Jouant de la déstabilisation physique, l'installation acquiert une dimension exceptionnelle en retirant le sujet de la temporalité ordinaire de son univers. L'expérience somatique soustrait la pensée au temps présent, plongeant les sens dans un sentiment d'éternité. On a ici une approche temporelle bien différente des expériences qui s'accordent au temps propre du spectateur.
Le principe d'immersion par la couleur peut être combiné comme chez Bill Viola, avec des projections vidéos monumentales qui ont lieu dans l'obscurité. Les sens aiguisés par la pénombre, le spectateur se retrouve partagé entre cinq écrans dans l'installation Five Angels for the Millenium (2001), qui diffusent simultanément les images d'un personnage incarnant tour à tour l'ange qui s'en va en plongeant, celui de la naissance du feu, l'ange qui monte dans un mouvement ascensionnel, et celui de la création. Véritable dispositif de contemplation, l'installation offre un hors-temps où le point de vue se trouve démultiplié dans des cycles d'images ralenties provoquant chez l'individu un flottement physique troublant.
À la clôture du spectateur, à son repli dans un espace clos et quasi matriciel, l'artiste islandais Olafur Eliasson a préféré une agora, un espace où l'expérience collective se mêle à la contemplation. Pour The Weather project (2003), l'artiste a ainsi composé une installation géante à partir de l'architecture grandiloquente du hall principal de la Tate Modern de Londres. À un soleil de synthèse orangé (des lampes de tungstène monofréquence) disposé au sommet du mur du fond de la grande halle, Eliasson a ajouté un plafond de miroirs qui démultiplient la hauteur déjà vertigineuse de l'espace (35 m). Les visiteurs viennent y éprouver un épisode atemporel et purement artificiel, moment de communion « naturaliste ». La saturation du volume monumental par la couleur jaune provoque un changement de la perception faisant voir au sujet, son entourage immédiat en noir et blanc. Entre démonstration pseudo-scientifique et climatologie du sensible, l'œuvre d'Eliasson est devenue un événement, détournant le terme d'environnement parfois utilisé pour[...]
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Écrit par
- Bénédicte RAMADE : critique d'art, historienne de l'art spécialisée en art écologique américain
Classification
Média
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