INFORMATION GÉNÉTIQUE

La métaphore du programme génétique

Avant d'en arriver là, les découvertes sur le code génétique et la synthèse des protéines avaient donné naissance à une théorie générale, qu'on a parfois appelée le dogme central de la biologie moléculaire, suivant laquelle le fonctionnement cellulaire et, par extension, le développement embryonnaire sont le résultat d'une transmission d'information génétique dans une direction unique : des ADN vers les protéines. Cette théorie, sous sa forme radicale, implique un déterminisme rigoureux où une succession d'événements enchaînés les uns aux autres, succession qui constitue l'organisation spatiale et temporelle d'un organisme, est comprise comme l'exécution d'un programme (au sens de programme d'ordinateur) inscrit dans les séquences nucléotidiques des ADN : le programme génétique.

La notion de programme génétique a permis de contourner les difficultés inhérentes au finalisme apparent des phénomènes biologiques. Dans un article séminal sur la causalité en biologie, en 1961, Ernst Mayr affirmait que les découvertes sur la structure des ADN comme molécules porteuses d'information et sur la nature du code génétique permettaient désormais de donner un contenu mécanique à la notion d'« idée directrice » – encore empreinte de vitalisme – que Claude Bernard utilisait pour expliquer le développement orienté vers le futur, d'un embryon à partir de la cellule œuf. Dans cet article, Mayr reprenait à Pittendrigh la notion de téléonomie pour désigner une finalité mécanique non intentionnelle (non purposeful end-seeking process »), comme dans l'exécution mécanique d'un programme ainsi comprise venait alors remplacer, grâce à l'image d'un programme d'ordinateur écrit dans la séquence nucléotidique des gènes, la téléologie classique, c'est-à-dire l'invocation de causes finales intentionnelles (« purposeful end-seeking processes ») qui, depuis Aristote, n'avait pas cessé de nourrir les philosophies vitalistes.

En fait, Mayr allait vite en besogne et la lecture de son article montre clairement comment à partir des découvertes de la biologie des années 1950, une théorie globale de la biologie était construite sur la base d'une généralisation abusive à tous les processus – encore largement inconnus – du développement embryonnaire. Cette généralisation était rendue possible par une analogie trompeuse, mais séduisante, avec un programme d'ordinateur, reposant elle-même sur une confusion évidente entre la notion de codage et celle de programme. Le code génétique ayant été déchiffré, sous la forme d'une correspondance entre des triplets de nucléotides dans les ADN et les acides aminés constitutifs des protéines, les propriétés toutes différentes d'un programme d'ordinateur, c'est-à-dire d'un plan où d'une suite d'instructions spécifiant à l'avance le déroulement d'un processus temporel apparemment finalisé, étaient alors attribuées sans justification aux séquences nucléotidiques des gènes codant pour les protéines.

L'article de Mayr et les livres qui l'ont suivi semblent avoir joué un rôle déterminant dans la fixation de la théorie biologique. Les livres de Jacques Monod et de François Jacob en France reprenaient ces notions, complétées par le schéma néo-darwinien de la théorie synthétique de l'évolution (R. A. Fisher). Celle-ci permettait de concevoir les mécanismes de la sélection naturelle comme jouant le rôle de programmeurs, à l'origine des programmes génétiques caractéristiques de chaque espèce.

En fait, dès l'origine, la comparaison avec l'ordinateur et la notion de programme de développement, censée expliquer les mécanismes de l'embryogenèse, n'avaient pas de réelle valeur explicative.[...]

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Écrit par

  • Henri ATLAN : professeur émérite de biophysique aux universités de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie et de Jérusalem, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Paris, directeur du Centre de recherches en biologie humaine, hôpital Hadassah, Jérusalem (Israël)

Classification

. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )

Média

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La naissance, en 1996, du premier mammifère cloné, la brebis Dolly, a marqué une étape importante…

Autres références

  • ADN ET INFORMATION GÉNÉTIQUE

    • Écrit par Nicolas CHEVASSUS-au-LOUIS
    • 239 mots

    Jusqu'en 1944, on ignorait quelle pouvait être la nature chimique de la molécule présente dans les chromosomes et porteuse de l'information génétique. Alors que la plupart des chercheurs pensaient qu'il s'agissait de protéines, deux publications viennent montrer, en 1944, qu'il...

  • ADN (acide désoxyribonucléique) ou DNA (deoxyribonucleic acid)

    • Écrit par Michel DUGUET, Universalis, David MONCHAUD, Michel MORANGE
    • 10 074 mots
    • 10 médias
    Une fois connue la structure du matériel génétique, il fallait comprendre comment celui-ci pouvait contrôler la synthèse des protéines, molécules responsables des fonctions élémentaires de la cellule, et en particulier des fonctions de catalyse enzymatique. Dès 1940, les Américains George Beadle et...
  • BIOCHIMIE

    • Écrit par Pierre KAMOUN
    • 3 880 mots
    • 5 médias
    ...l'ensemble des réactions qui permettent l'expression et la transmission du message génétique. C'est donc la biochimie de l' ADN, qui est le vecteur de l'information génétique. L'ADN est connu depuis 1869, mais ce n'est qu'en 1944 qu'Avery, Mac Leod et Mc Carty démontrèrent que l'ADN pouvait être...
  • BIOTECHNOLOGIES

    • Écrit par Pierre TAMBOURIN
    • 5 368 mots
    • 4 médias
    La connaissance des séquences nucléotidiques de l'ADN constitue le niveau le plus fin del'information génétique. Dans les années 1990, la biologie à grande échelle naît de la nécessité d'augmenter fortement la puissance des techniques de séquençage de cette molécule géante, en particulier...
  • CELLULE - L'organisation

    • Écrit par Pierre FAVARD
    • 11 028 mots
    • 15 médias
    ...refermé sur lui-même et reployé de nombreuses fois (fig. 1b). C'est une molécule circulaire d'acide désoxyribonucléique ( ADN) qui forme le chromosome bactérien parce qu'il est porteur de l'identité de l'espèce, codée dans la structure de la molécule. Celle-ci est donc qualifiée d'informationnelle.
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Voir aussi