INÉGALITÉS Analyse et critique
L'évolution de la thématique des inégalités économiques et sociales au sein du débat politique, mais aussi dans le milieu de la recherche universitaire et académique, offre un bon exemple du décalage qui peut s'instituer entre les discours et la réalité sur laquelle ils portent. Les années 1970 avaient vu les études sur les inégalités sociales se multiplier, alors que les politiques publiques de réduction des inégalités (en matière de revenu, d'accès au logement, de scolarisation, etc.), portées par le compromis fordiste de l'après-guerre, continuaient à produire leurs effets, même si ceux-ci n'étaient pas à la hauteur des promesses qui les accompagnaient. Au contraire, les deux dernières décennies du xxe siècle ont été marquées par une véritable rupture dans cette dynamique de réduction des inégalités ; et, simultanément, le thème des inégalités sociales a quasi disparu de la scène publique et universitaire, du moins jusqu'en 1995. Seule a continué à y faire implicitement allusion, au cours des années 1980, la thématique émergente, puis bientôt dominante, de l'exclusion, saisissant la pointe extrême du mouvement d'aggravation des inégalités qui s'était de nouveau emparé des sociétés occidentales, mais rejetant du même coup l'ensemble du phénomène dans l'ombre.
La légitimité même des discours antérieurs sur les inégalités sociales, assis sur le projet de leur réduction, s'est ainsi trouvée mise en cause. Maintenir que la réduction des inégalités est une question cruciale pour les sociétés passe nécessairement aujourd'hui par un débat contradictoire et argumenté, avec pour préalable une tentative de définition de son objet.
Tentative de définition
Toutes les sociétés humaines offrent le spectacle d'un certain nombre de disparités, plus ou moins accentuées, entre leurs membres. Chacun convient immédiatement que le chômeur de longue durée est aujourd'hui aussi peu l'égal du P.-D.G. d'une grande entreprise que le serf du Moyen Âge pouvait l'être du roi ou même seulement de son seigneur. Néanmoins, la définition de ce qu'est une inégalité sociale présente un certain nombre de difficultés, qu'il est indispensable de surmonter pour éviter que la notion ne reste floue et propice à des confusions.
Nous en proposerons la définition suivante : une inégalité sociale est le résultat d'une distribution inégale, au sens mathématique de l'expression, entre les membres d'une société des ressources de cette dernière, due aux structures mêmes de cette société et faisant naître un sentiment d'injustice au sein de ses membres.
Les éléments de cette définition appellent chacun un bref commentaire, essentiellement pour en souligner le caractère problématique et donc discutable.
Inégalité sociale et inégalité mathématique
La référence à la notion d'inégalité mathématique offre le double avantage de la simplicité et de l'univocité : elle est sans ambiguïté. Elle s'impose donc à ce titre, et toute définition des inégalités sociales y fait implicitement ou explicitement référence.
Une unité de mesure étant définie (mètre, année, franc, etc.), il y a inégalité mathématique entre deux grandeurs quand l'une est supérieure à l'autre. Par analogie, on peut dire qu'il y a inégalité entre deux membres d'une même société dès lors que l'un se trouve davantage doté de ressources qu'un autre : les ressources de l'un sont en quantité supérieure à celles de l'autre. Par exemple, A dispose d'un revenu annuel supérieur à B ; ou encore l'espérance de vie de A est supérieure à celle de B.
On pourra alors construire différents indicateurs statistiques d'inégalités : écarts par rapport à la moyenne, écarts par rapport à la médiane,[...]
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Écrit par
- Alain BIHR : professeur de sociologie à l'université de Haute-Alsace, Mulhouse
- Roland PFEFFERKORN : professeur de sociologie à l'université Marc-Bloch, Strasbourg
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