HYBRIDATION

Les chimères biologiques

Une curiosité en biologie animale ?

Dans le monde du vivant, qu'il s'agisse d'êtres humains, d'animaux, de tissus ou de protéines, les chimères sont des hybrides, comme l'était la Chimère de la mythologie grecque, à la fois lionne, chèvre et dragon. Le terme lui-même est actuellement utilisé en biologie pour nommer des entités très diverses, survenant soit spontanément, soit du fait des nombreux artifices de la biologie moderne. Il a été introduit au début du XXe siècle par des botanistes. En biologie animale, les tritons furent sans doute les premiers animaux chimériques célèbres, puisqu'ils permirent à Hans Spemann de découvrir le phénomène de l'induction au cours de l'embryogenèse.

Expérimentalement, après les tritons, les oiseaux, avec les chimères caille-poule, constituèrent un remarquable outil d'exploration de l'ontogenèse, en particulier des migrations cellulaires au cours du développement embryonnaire du système nerveux. Puis les chimères murines, créées chez la souris par addition de cellules souches embryonnaires totipotentes allogènes dans un blastocyste en développement, ont rendu possible l'étude de l'invalidation d'un gène (par recombinaison homologue) et de ses conséquences sur le phénotype (caractères morphologiques et biologiques) de l'animal.

En thérapeutique, dans les tissus qui ont reçu des greffons médullaires allogènes, les cellules souches embryonnaires transplantées, dont on mesure à présent la totipotence, survivent et se différencient, offrant ainsi un espoir de thérapie pour de nombreuses maladies.

Enfin, lors de la fusion anormale de deux gènes par remaniement chromosomique, des protéines nouvelles, dites chimériques, peuvent agir sur le métabolisme cellulaire, dans des leucémies ou des tumeurs par exemple.

Le chimérisme lié à la reproduction humaine

Dans la population des jumeaux dizygotes, frères et sœurs simultanés issus de deux ovocytes et de deux spermatozoïdes différents, l'existence d'une chimère sanguine n'est pas exceptionnelle, puisqu'elle survient dans 8 p. 100 des cas environ, la pratique de la fécondation in vitro ayant en outre considérablement augmenté le nombre des grossesses multiples. Cet échange se produit au niveau du placenta, par « anastomose placentaire », permettant l'échange, entre jumeaux dizygotes, de cellules hématopoïétiques rendant possible une greffe de cellules d'un jumeau (donneur) dans la moelle osseuse de l'autre jumeau (receveur), assez tôt pour ne pas entraîner de rejet du système immunitaire. Ce chimérisme, dit congénital, peut perdurer des années, voire toute la vie, révélant parfois l'existence d'un jumeau disparu pendant la période embryonnaire, jusque-là totalement méconnu, à moins qu'il n'ait été perçu en échographie fœtale au début de la grossesse. Découvert lors de l'établissement d'une carte de groupe sanguin, ce chimérisme montre une double population d'érythrocytes de phénotype différent dont les proportions sont variables selon les cas. Parfois, la chimère est invisible, car les cellules du donneur ont constitué une chimère totale. Ainsi, il nous a été donné d'observer une fillette trisomique 21, chez qui il n'existait qu'une seule population d'hématies : celles de son frère jumeau normal. En culture de cellules sanguines, tous ses lymphocytes avaient un caryotype 46,XY. Comme on pouvait s'y attendre d'après le phénotype de cette enfant, les autres cellules de l'organisme révélaient un caryotype 47,XX,+21, attestant ainsi a contrario l'existence d'une chimère sanguine totale. Peut-être, dans ce cas, y avait-il eu avantage sélectif des cellules normales sur les cellules trisomiques au cours de l'installation de la chimère.[...]

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Écrit par

  • Georges BARSKI : directeur de recherche au C.N.R.S., chef du Laboratoire de virologie et de culture de tissus à l'Institut Gustave- Roussy, Villejuif
  • Yves DEMARLY : professeur universitaire, directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique
  • Simone GILGENKRANTZ : professeur émérite de génétique humaine, C.H.U. de Nancy

Classification

Pour citer cet article

Georges BARSKI, Yves DEMARLY, Simone GILGENKRANTZ, « HYBRIDATION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

Hybridation interspécifique et réalisation d'un amphidiploïde

Hybridation interspécifique et réalisation d'un amphidiploïde

Hybridation interspécifique et réalisation d'un amphidiploïde

Représentation schématique d'une hybridation interspécifique suivie de la réalisation d'un…

Introgression : conséquences

Introgression : conséquences

Introgression : conséquences

Schéma de diverses situations résultant d'introgression.

Autres références

  • RECHERCHES SUR DES HYBRIDES VÉGÉTAUX (G. Mendel)

    • Écrit par Gabriel GACHELIN
    • 793 mots
    • 1 média

    Au cours de deux conférences successives devant la Société des sciences naturelles de Brünn (selon l’appellation autrichienne, Brno en République tchèque), les 8 février et 8 mars 1865, Gregor Mendel rapporte les résultats qu’il a obtenus sur l’hybridation des végétaux et sur...

  • DENISOVA HOMMES DE ou DÉNISOVIENS

    • Écrit par Bruno MAUREILLE
    • 3 364 mots
    • 4 médias
    ...804 000 ans, ce qui précise l’étude précédente. Comme l'étude de l'ADN nucléaire de l'homme de Néandertal de Vindija publiée en 2010 – qui a démontré une participation des Néandertaliens au génome de certaines populations d'hommes modernes –, ce travail met en évidence qu‘entre 4 et 6 p. 100 de gènes...
  • GÉNÉTIQUE

    • Écrit par Axel KAHN, Philippe L'HÉRITIER, Marguerite PICARD
    • 22 769 mots
    • 31 médias
    ...artificiellement, l'autofécondation et d'obtenir des graines qui résultent du croisement entre deux lignées distinctes. C'est à des opérations de ce type, dites d'hybridation, que se livra Mendel. Une de ses idées les plus fécondes fut de s'intéresser séparément à la transmission héréditaire de caractères...
  • GÉNOME NÉANDERTALIEN

    • Écrit par Eva-Maria GEIGL, Thierry GRANGE, Bruno MAUREILLE
    • 2 880 mots
    ...fossiles se situe en dehors de la diversité mitochondriale des humains actuels excluant donc un flux génétique important entre les deux lignées, et donc l'hybridation entre elles. De plus, si métissage il y avait eu, il ne serait pas survenu à une fréquence suffisante pour laisser des traces dans...
  • INVASIONS BIOLOGIQUES

    • Écrit par Alain ZECCHINI
    • 5 542 mots
    • 2 médias
    L'invasion pourrait aussi être amplifiée par le phénomène d'hybridation. La création d'une nouvelle espèce, entre deux individus autochtone et allochtone, éventuellement plus résistante et plus compétitive (comme c'est souvent le cas), peut se traduire, à terme, par la dilution du ...
  • JARDINS - Sciences et techniques

    • Écrit par Hervé BRUNON, Monique MOSSER
    • 2 549 mots
    ...Aux méthodes traditionnelles de multiplication végétative – le bouturage et le greffage sont connus depuis l'Antiquité – s'adjoint au xviii e siècle l'hybridation, expérimentée dès lors que la reproduction sexuée des plantes a été mise en évidence. Tout un pan des techniques horticoles concerne...
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Voir aussi