GUÉRILLA
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Les ambiguïtés de la « petite guerre »
Guérilla et guerre classique
La guerre classique, dominée par la notion de bataille décisive, cette « Marseillaise prussienne » chère à Clausewitz, ne se réduit pas à un choc frontal. Elle implique de manœuvrer l'ennemi, qu'on le surprenne, l'attaque de flanc, le fragmente, tel Horace contre les Curiaces, ou l'encercle, voire, comme disait Jomini, grand observateur des batailles napoléoniennes, « qu'on porte le gros de ses forces sur une seule de ses ailes... clef de voûte de la science de la guerre ».
La défensive, de son côté, est l'« art complet » qui permet de temporiser, d'étirer et d'affaiblir l'adversaire en attendant la contre-offensive propre à le terrasser ; la ruse, même si Clausewitz en minimise la portée, est le ressort de la surprise et de la guerre psychologique ; les corps francs s'infiltrent dans les lignes pour chercher le renseignement ou semer la panique ; enfin, la « défense en surface », enchevêtrement de centres de résistance assiégés sans front ni arrières, mêle les genres et emprunte déjà nombre de ses traits à la guérilla.
Entre celle-ci et la bataille conventionnelle, on voit donc que, sur le plan tactique, le hiatus est loin d'être absolu. Il l'est moins encore lorsque, passant sur le plan stratégique et quittant les affrontements directs pour les manœuvres périphériques, on aborde, sans quitter les rangs militaires, le domaine de l'« approche indirecte ». C'est le cas notamment de la stratégie insulaire de l'Angleterre qui, privée naguère d'armée permanente, dressait des obstacles face à l'ennemi principal, l'attaquait sur ses lignes extérieures avec les Raleigh et les Drake, l'isolait, le harcelait, cherchait ses points faibles, en privilégiant les débarquements excentriques et l'action sur les arrières. Stratégie d'attrition ou, comme disait Liddell Hart, maître en la matière, stratégie de « coup de bec », préfiguration de la vision de Lénine : la stratégie la plus saine consiste à retarder la bataille jusqu'à ce que la dislocation de l'ennemi permette de lui asséner un coup mortel.
À ce stade, on ne parle pas de « guérilleros », mais de corsaires, de commandos, de rangers, d'agents des services spéciaux, parachutistes de tous acabits lancés sur les franges de l'armée adverse pour l'effriter et la démoraliser. Dans leur règlement d'avant 1940, les Allemands avaient, d'ailleurs, codifié cette forme d'engagement avant de la mettre, non sans succès, au service de Tchang Kaï-chek au début de la guerre sino-japonaise. La guérilla, « moyen de soutenir par des actions secondaires les opérations amies », ne sortait pas, toutefois, même si l'on cautionnait la « tromperie », du cadre martial traditionnel, l'objectif restant la victoire militaire. Il en est de même lorsqu'on parlait, ces dernières années, de « techno-guérilla », mode défensif préconisé par certains pour préserver, face aux armées soviétiques, l'Europe de l'Ouest, sans utilisation de l'arme nucléaire : réseaux antichars et antipersonnels échelonnés sur la profondeur du dispositif allié..., système purement militaire n'ayant d'autre objectif que de barrer la route aux forces ennemies.
Or la vraie guérilla est plus subtile. S'en prenant davantage aux assises du pouvoir qu'à son armée, elle ne doit pas, pour être significative, être trop liée aux opérations centrales ; il lui faut, en quelque sorte, se déprofessionnaliser, se démilitariser, se rendre autonome, cesser enfin d'être à dominante technique pour prendre un caractère populaire et politique. Hitler, qui avait, sur ce plan, des notions d'avant-garde, voyait fort bien le problème : « La guerre n'est pas, disait-il à Forster, cette science hermétique entourée d'un appareil solennel que les généraux persistent à considérer comme un tournoi du Moyen Âge. Je n'ai que faire de chevaliers ! La confusion des sentiments, les conflits moraux, la panique, l'indécision, telles seront nos armes ! » Le résultat, il est vrai, fut pour le moins mitigé. En dehors du rôle joué par quelques « cinquièmes colonnes » durant la campagne de Norvège, le système souffrit du sectarisme et de la rigidité des nazis qui, en revanche, eurent à combattre durement les mouvements de guérilla surgis des profondeurs des pays occupés : partisans russes – héritiers des supplétifs de Koutouzov –, favorisés par le climat, l'espace et le morcellement des fronts ; maquisards grecs et yougoslaves, qui fournirent un appoint non négligeable à la victoire de Stalingrad en immobilisant une [...]
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Écrit par :
- Pierre DABEZIES : professeur à l'université de Paris-I, ancien président de la Fondation pour les études de défense nationale
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Pour citer l’article
Pierre DABEZIES, « GUÉRILLA », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 14 août 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/guerilla/