GIRONDINS ET MONTAGNARDS
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L'idéologie
L'idéologie girondine concevait le mouvement inauguré en 1789 comme une donnée close, où il n'y avait rien d'autre à se proposer que la réalisation des objectifs du départ ; elle ne différait au fond de celle des Feuillants que dans la définition de ces objectifs ; elle estimait surtout que ces objectifs avaient été trahis par la réaction feuillante après Varennes. Mais, dès la fin de 1791, les brissotins considéraient, eux aussi, la Révolution comme terminée ; restait à la sauver de toute trahison, à l'épurer, à parachever son vrai visage, et surtout à diffuser au-delà des frontières une révolution parvenue à son aboutissement logique. Toute la position des brissotins sur la guerre (position qui déclenche le conflit premier avec Marat et Robespierre, qui contient tous les suivants en germe) suppose cette conviction : la Révolution achevée peut être traitée comme un article d'exportation idéologique ou de profit commercial, reproduite à l'extérieur plutôt que développée à l'intérieur. Ce n'est pas par hasard que les brissotins de la Législative tenaient tant à conquérir ou à ressaisir les postes ministériels et mettaient si peu d'empressement à renverser la monarchie. Ils avaient des âmes de gérants, non d'accoucheurs.
L'idéologie montagnarde, au contraire, concevait 1789 comme un démarrage historique destiné à engendrer son propre dépassement (ou du moins capable de l'engendrer). La Révolution était porteuse d'une exigence humaine totale, qui était loin encore de son aboutissement. Comment ne pas rappeler ici Saint-Just : « On ne fait pas les révolutions à moitié [...]. La révolution doit s'arrêter à la perfection du bonheur. » De ce fait, l'idéologie montagnarde était moins homogène, plus confuse que la girondine ; elle était hardiment prête à accepter l'avenir révolutionnaire, mais redevenait le plus souvent fort prudente quand il était question d'en définir nettement les objectifs. La Gironde mettait son audace dans son discours ; la Montagne dans ses actes.
À partir de là, on peut mieux saisir le lien entre les conflits successifs que l'histoire révolutionnaire fera surgir entre les deux camps. Conflit d'abord entre parisianisme et fédéralisme (imprévisible au temps de la Législative quand Pétion était le maire de Paris) : les masses populaires, plus actives et plus organisées à Paris que dans les départements, s'irritent contre les demi-mesures que prône la Gironde, en même temps que la poursuite de la guerre impose une centralisation gouvernementale. On saisit mieux en même temps l'importance croissante que prendra la question sociale dans le duel. Girondins et Montagnards étaient, au départ, des bourgeois animés de bonnes intentions à l'égard du peuple ; mais les premiers jugèrent la Révolution terminée dès lors que la bourgeoisie avait pratiquement réalisé ses objectifs propres (« Les Girondins voulaient arrêter la Révolution sur la bourgeoisie », notera le Montagnard Baudot dans ses souvenirs) ; les seconds admirent ou comprirent qu'elle ne serait achevée qu'en y associant les sans-culottes, soit pour des raisons partiellement opportunistes, et parce que la contre-révolution demeurait menaçante (« L'expérience prouve que la Révolution n'est point faite [...], il faut très impérieusement faire vivre le pauvre, si vous voulez qu'il vous aide à achever la Révolution », constatera Jean Bon Saint-André), soit pour une exigence humaine qui leur tenait plus authentiquement à cœur (« Si vous donnez des terres à tous les malheureux, je reconnais que vous avez fait une révolution », affirmera Saint-Just).
On saisit mieux aussi pourquoi Montagnards et sans-culottes, malgré toutes les différences sociales qui les séparaient (et que les Enragés ne se faisaient pas faute de souligner), ont pu communier durant de longs mois dans le même élan révolutionnaire, alors que les Girondins, par la bouche de Vergniaud, se glorifiaient d'être devenus des « modérés ». Et pourquoi, au contraire, la Gironde était condamnée, malgré les positions initiales fort avancées de certains des siens, à périr étouffée, à partir de juin 1793 du moins, sous les adhésions des anciens Feuillants et sous les caresses méprisantes des contre-révolutionnaires les plus habiles.
On peut mieux expliquer aussi la cause des fluctuations d'un camp à l'autre, sans la ramener à une poussière subjective de caprices et de calculs. Le camp de la Gironde fut rallié par tous ceux qui, à n'importe quel moment, crurent que la Révolution était désormais étale ou devait être close : Pétion, Buzot, Barbaroux, Louvet, Manuel (on aurait pu sans doute y ajouter Danton en octobre 1792, si la haine dont le poursuivait Manon Roland n'avait rendu toute réconciliation impossible). Et il fut déserté par tous ceux qui, à n'importe quel moment, prirent conscience que la marée révolutionnaire devait encore monter : Couthon, Fouché, Cloots, Cambon, Barère (on aurait pu sans doute y ajouter Condorcet, si les critiques montagnardes portées contre son projet de Constitution ne l'avaient si fort blessé).
On comprend mieux enfin certaines suites de l'histoire. L'apothéose de la « Grande Nation », chère aux thermidoriens et aux hommes du Directoire, la politique de création d'une ceinture de « républiques sœurs » sont déjà inscrites dans les discours des brissotins à la Législative. Et il serait à peine paradoxal de soutenir que Napoléon Bonaparte sera un Girondin, moins repu de beau parler et plus efficace que ses prédécesseurs, qui empruntera à la Montagne ses procédés de gouvernement centralisé et (jusqu'à un certain point) de répression pour réaliser les objectifs de l'idéologie girondine.
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Écrit par
- Jean MASSIN : écrivain
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