EXOTISME
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L'exotisme avant le romantisme
Il manque à la mode des chinoiseries cet ardent désir de délivrance des sens qui caractérise l'exotisme romantique : un âge intellectuel comme le xviiie siècle admira surtout la civilisation raffinée des Chinois. On fit des Orientaux les porte-parole de la censure des mœurs européennes. On doit à un Italien, Giovanni Paolo Marana, l'invention d'un nouveau type de satire : L'Espion du grand seigneur est la version française (1684) d'un texte italien perdu. Les Lettres persanes de Montesquieu et certains des Contes orientaux de Voltaire firent suite à cette utilisation satirique de l'exotisme.
Au xviie siècle, l'exotisme ne va pas en général au-delà du nom des personnages dans les romans à sujet prétendument oriental, souvent à clef ; mais la divulgation des Mille et Une Nuits en France et en Angleterre au commencement du xviiie siècle favorisa l'essor d'un nouveau genre de contes orientaux et de fables d'un coloris décidément exotique (par exemple Jacques Cazotte en France avec ses Contes arabes, et plus tard Christoph Martin Wieland en Allemagne), mais on trouve un exotisme de caractère romantique seulement dans le plus célèbre de ces contes, Vathek de William Beckford (1786), un pastiche à mi-chemin entre les Mille et Une Nuits et les contes philosophiques, dans le cadre assez sinistre des relations amoureuses de l'auteur. L'assaisonnement oriental servit aussi à ajouter du piquant à des contes galants comme le fameux Sopha de Crébillon, et Les Bijoux indiscrets de Diderot.
Le mythe du noble sauvage est une variante de l'exotisme, d'un caractère plus moral que sensuel. C'est un mythe qui paraît destiné à surgir dans les civilisations ayant atteint un stade avancé de développement, et dont les aspects artificiels peuvent blesser les sensibilités. C'est ainsi qu'à l'époque hellénistique philosophes et historiens, comme Éphore (ive s. av. J.-C.), étudient les peuples barbares (Scythes, Thraces, Celtes) d'un point de vue moral et découvrent chez eux les vertus que les hommes civilisés ont perdues. Au xviiie siècle, l'Amérique et l'Océanie apparaissent comme des paradis de pureté et d'innocence, véritables réincarnations de l'âge d'or. Dans le Supplément au Voyage de Bougainville (1772), Diderot s'attarde sur les coutumes des heureux habitants de Tahiti. Dans Paul et Virginie (1787), Bernardin de Saint-Pierre développe le rêve édénique de Rousseau dans le cadre exotique de la nature tropicale : dans cet ouvrage, la scène a pour décor une île africaine, mais en général les idylles de ce genre se déroulent en Amérique. Les Bermudes avaient offert aux poètes anglais, au milieu du xviie, l'image des îles fortunées, où le printemps est éternel et où les oranges luisent parmi le feuillage (E. Waller, Battle of the Summer Islands, et surtout la poésie « Bermudas » de Andrew Marvell). Goethe devait évoquer plus tard ce type de paysage idéal, mais situé en Europe méditerranéenne, par les vers célèbres : « Kennst du das Land... ». L'idylle d'un Européen avec une fille de la nature, une belle sauvage, est un thème commun à plusieurs contes du xviie siècle ; au xixe, Chateaubriand l'introduit dans Les Natchez, où il apparaît déjà pénétré de ce sentiment nostalgique et de ces assaisonnements sensuels qui sont propres à l'exotisme moderne.
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Écrit par :
- Mario PRAZ : ancien professeur à l'université de Rome
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Mario PRAZ, « EXOTISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 12 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/exotisme/