ÉVOLUTION
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Darwin et la sélection naturelle
Si Charles Darwin (1809-1882) n'est pas le créateur de la théorie de l'évolution, il n'est pas anormal que son nom lui soit indissociablement lié, dans la mesure où la publication de son ouvrage majeur, L'origine des espèces (1re éd. 1859), connaît un très fort retentissement ; en quelques années, une large majorité des milieux scientifiques se « convertissent » à cette hypothèse. Un aspect essentiel du darwinisme (comme d'ailleurs du lamarckisme) est son caractère historique concret : les « correspondances » structurales repérées entre organismes différents (homologies) ne sont plus perçues comme relatives à un « plan commun » idéal et abstrait (archétype) mais désormais comme l'expression de relations généalogiques concrètes dues à l'existence d'un ancêtre commun. Dès lors, la classification « naturelle » des espèces ne doit plus être une simple opération de « rangement » aussi opérationnel que possible de la biodiversité. Elle doit devenir l'expression du lien généalogique réel entre les espèces, c'est-à-dire du résultat de l'évolution. C'est ce qu'Ernst Haeckel (1834-1919) nommera plus tard la phylogénie du vivant et exprimera par la célèbre métaphore de l'arbre (1866) si souvent exploitée depuis lors (fig. 1). Ainsi, Darwin est à l'origine de la notion de « canevas évolutif », ce que l'on appelle actuellement le « pattern évolutif », dont la reconstitution est aujourd'hui largement l'objet de sciences telles que la systématique, la paléontologie et la phylogénie moléculaire.
En diffusant et en popularisant la théorie darwinienne et en énonçant la « loi de la récapitulation » (selon laquelle le développement embryonnaire serait une répétition de l'histoire évolutive), le zoologiste Ernst Haeckel (1834-1919) a joué un rôle important dans l'histoire des...
Crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images
Pourtant la place de Darwin dans l'histoire du transformisme demeure ambiguë, car la part la plus originale de son œuvre, celle dont les implications sont les plus considérables, à savoir la « sélection naturelle », sera souvent mal comprise, et ne sera largement acceptée que pratiquement un siècle plus tard.
De l'origine des espèces est d'abord un plaidoyer en faveur de la transformation des espèces et présente des arguments qui, pour l'essentiel, sont toujours valides : observations paléontologiques, qui révèlent la succession d'espèces différentes au cours des temps géologiques ; similitudes de tous ordres (notamment anatomiques et embryologiques) entre les êtres vivants, qui permettent d'établir une classification naturelle ; existence d'une variabilité naturelle dans toutes les espèces, à l'origine parfois de variétés stables ; etc. Mais à cette collection de faits, Darwin ajoute l'idée d'un mécanisme, qui lui a été inspirée par les conceptions de Malthus à propos de l'homme et par la sélection artificielle des races animales domestiques. Selon lui, les êtres vivants, compte tenu de la limitation des ressources dont ils disposent, sont perpétuellement engagés dans une concurrence, une « lutte pour la survie ». Ainsi les variations apparaissant spontanément au cours des générations sont soumises à un processus de sélection : les individus qui, du fait de ces changements, sont avantagés par rapport à leurs congénères sont favorisés et ont plus de chances d'avoir une descendance, elle-même pourvue de cette même variation. À l'inverse, les individus sujets à des variations défavorables tendent à être éliminés. Cette « sélection naturelle », répétée sur un grand nombre de générations, conduit peu à peu à l'apparition de nouvelles formes, mieux adaptées à leur milieu. La sélection constitue donc le « process » ou mécanisme matériel efficient, purement naturel, de la transformation des espèces.
Le naturaliste britannique Alfred Russel Wallace (1823-1913), ici vers 1910.
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Il convient de mesurer le bouleversement considérable, et dépassant largement le cadre scientifique, que suppose cette manière de raisonner, même par rapport aux théories transformistes antérieures. En effet, ces dernières faisaient toujours appel à une « force » plus ou moins directrice du processus évolutif, qui se déroulait donc conformément à un certain sens. Cette explication n'avait pas nécessairement de connotation finaliste (par exemple, Lamarck concevait cette force comme purement physique), mais elle pouvait fort bien s'accommoder d'une telle interprétation, et de fait, de nombreux auteurs, avant ou après Darwin (l'un des exemples les plus remarquables étant celui de Teilhard de Chardin), ont vu dans la transformation des espèces l'expression progressive d'un plan divin. Or en introduisant la notion de hasard (avec toutes les difficultés philosophiques que suppose ce concept) dans l'appari [...]
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Écrit par :
- Armand de RICQLÈS : professeur au Collège de France, chaire de biologie historique et évolutionnisme
- Stéphane SCHMITT : directeur de recherche au CNRS
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Pour citer l’article
Armand de RICQLÈS, Stéphane SCHMITT, « ÉVOLUTION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 21 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/evolution/