ÉTAT MEMBRE (UNION EUROPÉENNE)

Bien que cela puisse paraître un peu contre-intuitif, tant ils aiment parfois à présenter l’Union européenne (UE) comme une entité entièrement extérieure leur imposant ses choix, les États membres occupent, depuis les débuts de la Construction européenne, une place centrale dans le fonctionnement de l’UE et dans la définition de ses politiques – qui n’a jamais cessé de se renforcer. Représentés en tant que tels dans deux des quatre institutions politiques majeures de l’Union – Conseil de l’UE (composé des ministres issus des gouvernements nationaux) et Conseil européen (composé des chefs d’État ou de gouvernement des États membres) – et choisissant les membres d’une troisième – la Commission européenne –, les États sont au cœur du dispositif institutionnel de l’Union. Certes, l’appartenance à cette organisation d’intégration suppose le respect d’un certain nombre de contraintes juridiques, mais qui sont le plus souvent les conséquences des engagements souverainement pris par les États lors de la ratification des traités sur l’UE. Encore faut-il rappeler que les traités fondateurs de l’Union et chacune des révisions ultérieures ont été rédigés par ces États, à l’exception peut-être du traité de Lisbonne (2007), dont le contenu découle partiellement du travail de la Convention sur l’avenir de l’Europe – chargée des travaux préparatoires à l’élaboration du traité établissant une Constitution pour l’Europe rejeté en 2005 par référendum par la France et les Pays-Bas. Les États membres de l’UE disposent par ailleurs d’une indiscutable capacité de résistance face à des obligations qu’ils jugeraient inopportunes ou ne résultant pas directement des engagements auxquels ils ont souscrit.

Union européenne et Conseil de l'Europe : drapeau - crédits : Encyclopædia Universalis France

Union européenne et Conseil de l'Europe : drapeau

UE (Union européenne) - crédits : Encyclopædia Universalis France

UE (Union européenne)

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Les États restent donc bien les « maîtres des traités », selon l’expression de la Cour constitutionnelle allemande. Ils sont les membres consentants d’une organisation qu’ils ont créée et dont ils contrôlent collectivement et en grande partie le fonctionnement. Cependant, ce contrôle collectif se conjugue avec la dynamique particulière de l’intégration européenne pour transformer progressivement le statut juridique de l’État membre, au fil des transferts de compétence et du développement des politiques communes. Car, comme l’exprime la Cour de justice de l’UE dans son avis 2/13 du 18 décembre 2014 sur l’adhésion de l’UE à la Cour européenne des droits de l’homme, les « caractéristiques essentielles du droit de l’Union ont donné lieu à un réseau structuré de principes, de règles et de relations juridiques mutuellement interdépendantes liant, réciproquement, l’Union elle-même et ses États membres, ainsi que ceux-ci entre eux, lesquels sont désormais engagés, comme il est rappelé à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE, dans un “processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe” » (point 167 de l’avis 2/13) – le TUE, ou Traité sur l’Union européenne, est le traité de Maastricht modifié par le traité de Lisbonne.

De l’État à l’État membre : l’adhésion à l’Union européenne

Les conditions d’adhésion à l’UE

L’UE n’est pas une simple organisation internationale visant à mettre en place une coopération technique entre ses membres, mais une organisation d’intégration supposant un minimum d’homogénéité entre ceux-ci, afin qu’elle puisse déployer des politiques communes affectant directement les citoyens européens. Devenir membre de l’UE suppose donc le respect de conditions de fond, pour certaines relativement exigeantes, dont le contenu a évolué en même temps que les compétences de l’Union. Les règles d’adhésion se sont modifiées au fil des révisions des traités et des élargissements qui ont abouti, à partir des Communautés européennes initiales regroupant six États, à l’actuelle Union européenne avec ses vingt-sept États membres. Désormais, elles sont énoncées à l’article 49 du TUE, lequel prévoit également que le Conseil européen peut fixer des critères d’éligibilité qui viennent s’ajouter aux précédentes.

L’article 49 du TUE dispose ainsi que « tout État européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’Union ». Trois critères sont ainsi énoncés : le candidat doit être un État ; il doit être « européen » ; il doit respecter les valeurs fondatrices de l’Union – énoncées à l’article 2.

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Le défaut de qualité d’État n’a jamais été formellement opposé jusqu’à présent aux différents candidats à l’adhésion. Il n’en demeure pas moins que la question s’est posée à plusieurs reprises. Deux situations peuvent être considérées comme relevant de cette hypothèse. Première situation, celle de l’entité se prévalant d’une qualité étatique non reconnue par l’ensemble des États membres – ainsi du Kosovo, que plusieurs États membres de l’UE n’ont pas officiellement reconnu. Dans ce cas, il semble logique de considérer que le critère n’est pas rempli, dans la mesure où le statut du candidat en droit international reste discuté. Une autre situation pourrait se présenter, celle de la sécession d’une région d’un État membre, suivie d’une demande d’adhésion à l’Union par ce nouvel État. Envisagée un temps pour l’Écosse – lorsque le Royaume-Uni était membre de l’Union et se préparait à la quitter en 2020 – ou pour la Catalogne, elle ne s’est pas jusque-là concrétisée.

Par ailleurs, l’État candidat à l’adhésion doit se voir reconnaître la qualité d’« État européen » au sens de l’article 49 du TUE. Ce critère doit être compris dans une acception principalement géographique, également teintée de considérations politiques. En effet, non défini par le traité, ce critère fait l’objet d’une appréciation malléable par les États : si le Maroc n’est pas considéré comme un État européen (sa candidature a été rejetée en 1987 sur ce fondement), c’est au contraire le cas de la Turquie – depuis la reconnaissance de sa qualité d’État candidat en 1999 – ainsi que de l’Ukraine (2022) et même de la Géorgie (2023). Cette dernière s’est ainsi vue reconnaître la qualité d’État européen, alors même qu’elle se situe à l’est de la Turquie, dont on considère généralement que seule la partie occidentale est située sur le continent européen.

Enfin, l’État candidat doit respecter les valeurs fondatrices de l’Union telles qu’elles sont énoncées à l’article 2 du TUE. Selon celui-ci, « l'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes ». Poser comme condition d’appartenance à l’Union le respect de ces principes – que l’on peut résumer par le triptyque du Conseil de l’Europe (organisation internationale distincte de l’UE, dont dépend la Cour européenne des droits de l’homme), « État de droit, démocratie, droits de l’homme » –, revient à clairement exprimer le caractère politique du projet européen, projet qui ne saurait se résumer au respect de conditions techniques, mais suppose l’adhésion à des valeurs communes.

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Les critères d’éligibilité, que l’article 49 laisse au Conseil européen le soin de fixer, viennent s’ajouter aux conditions fixées par ledit article et permettent de prendre en compte les enjeux plus conjoncturels posés par les adhésions. Ainsi, le sommet européen de Copenhague de 1993 s’est réuni dans la perspective à moyen terme d’intégrer d’anciennes démocraties populaires d’Europe de l’Est. L’intégration d’États alors en pleine transition démocratique et économique a conduit les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’Union à fixer trois séries de critères (dits de Copenhague) visant à formaliser des prérequis à l’adhésion jusque-là implicites, à savoir :

– la présence au sein de l’État candidat d’institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection ;

– l’existence sur son territoire d’une économie de marché viable, ainsi que sa capacité à affronter la pression concurrentielle à l’intérieur de l’UE ;

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– enfin, son aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, notamment sa capacité à mettre en œuvre avec efficacité les règles, les normes et les politiques qui forment le corpus législatif de l’UE, l’« acquis communautaire », et à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire.

En 2006, le Conseil européen réuni à Bruxelles les 15 et 16 juin a choisi d’ajouter un autre critère d’éligibilité, à savoir « la capacité de l’Union d’absorber de nouveaux membres », l’UE devant conserver sa dynamique d’intégration et être susceptible d’assumer les conséquences notamment budgétaires des futurs élargissements.

La procédure d’adhésion à l’UE

Selon l’article 49 du TUE, l’État candidat dépose sa candidature au Conseil de l’UE, qui en informe le Parlement européen et les parlements nationaux des États membres. Après consultation de la Commission et approbation du Parlement européen à la majorité de ses membres – le Parlement dispose donc d’un droit de veto en la matière –, le Conseil se prononce à l’unanimité sur cette demande et, en cas d’accord, doit également prévoir les adaptations des traités rendues nécessaires par la nouvelle adhésion. Le traité d’adhésion qui en résulte doit ensuite être ratifié par l’ensemble des États membres de l’Union et par l’État candidat – qui, d’ailleurs, peut encore renoncer à ce stade, comme l’a fait à deux reprises la Norvège, en 1972 et en 1994. Le traité entre en vigueur lorsque tous les États l’ont ratifié et c’est à ce moment seulement que l’État candidat devient membre de l’UE.

En pratique, la procédure est bien plus souple et, surtout, elle est susceptible de prendre encore beaucoup de temps. Il s’agit alors de ne pas brusquer l’État candidat et sa population afin que le processus d’adhésion soit une réussite. Dans un premier temps, l’État candidat est invité à prendre les mesures nécessaires pour se rapprocher progressivement du respect des conditions d’adhésion. À cette fin, il peut être aidé par la conclusion d’un accord d’association avec l’UE prévoyant une expertise technique, mise en place par la Commission, ou des aides financières. Cette première phase se clôt lorsque la Commission émet un avis favorable à l’adhésion, avis transmis au Conseil de l’UE qui l’adopte et la fait avaliser par le Conseil européen. C’est à ce stade seulement que l’État demandeur se voit reconnaître la qualité officielle d’« État candidat », titre qui équivaut à une reconnaissance du fait qu’il est bien un État européen respectant les valeurs fondamentales de l’Union et qu’il a vocation à la rejoindre à plus ou moins longue échéance. Un pas important en direction de l’adhésion est donc franchi à ce stade. Cependant, celle-ci n’est pas encore garantie, le processus pouvant encore être suspendu par le Conseil de l’UE – comme ce fut le cas pour la Turquie en 2018 ou pour la Géorgie en 2024 – si le pays candidat ne respecte plus les valeurs de l’Union.

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Une fois reconnue la qualité d’État candidat s’ouvre alors une seconde phase, celle des négociations d’adhésion qui doivent permettre de vérifier que le candidat respecte effectivement les critères de Copenhague – comportant notamment la reprise de l’« acquis communautaire », à savoir l’ensemble du droit de l’UE en vigueur –, tout en lui laissant le temps de poursuivre l’adaptation de son droit interne et de ses institutions. Cela demande évidemment du temps et de la méthode car le corpus normatif à intégrer est considérable. Sur la base d’un cadre fixé par le Conseil de l’UE, les ministres et les ambassadeurs des États membres et du pays candidat se réunissent pour examiner le respect de l’« acquis communautaire », au fil des trente-cinq chapitres qui le composent, chacun correspondant à un domaine politique particulier. En pratique, cette phase repose sur le travail approfondi réalisé par la Commission au cours de la procédure dite de screening, dans le cadre de laquelle elle évalue le degré de préparation du pays candidat domaine par domaine. Cette étape est longue et technique, et peut durer plusieurs années, la durée du processus étant fonction de la complexité et de l’ampleur des changements que l’État candidat doit apporter à son droit et à son fonctionnement interne, mais aussi des fluctuations du soutien politique au processus d’adhésion au sein même de la société de l’État en question. Lorsque les États membres considèrent, avec l’éclairage apporté par la Commission, que le pays candidat respecte suffisamment l’acquis communautaire, le traité d’adhésion peut finalement être conclu entre tous les États membres et le pays candidat. Outre les adaptations qui peuvent alors être apportées aux traités, ce traité d’adhésion peut également prévoir des dispositions transitoires applicables au futur État membre – comme le report de l’intégration à l’espace Schengen ou une application échelonnée de certaines obligations découlant du droit de l’Union.

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Écrit par

  • : professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes

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