BOND EDWARD (1934- )
Dramaturge prolifique, dont les premières pièces datent des années 1960 (The Pope's Wedding, 1962 ; Saved, 1965 ; Narrow Road to the Deep North et Early Morning, 1968), le Britannique Edward Bond n'a cessé d'embrasser, jusque dans ses pièces les plus récentes, le marasme contemporain. Accommodant le théâtre épique à son propre système, il a fait du paradoxe la figure privilégiée de son travail théâtral. Son œuvre postule l'articulation d'une parole poétique et d'un discours sur le monde.
Le destin de Bond, qui répugne depuis de nombreuses années à confier ses pièces aux institutions théâtrales anglaises, passe depuis plus d'une décennie par la France. Le metteur en scène Alain Françon est devenu son interlocuteur privilégié, après avoir monté La Compagnie des hommes (In the Company of Men) en 1992, puis les Pièces de guerre (The War Plays) trois ans plus tard. Le Théâtre national de la Colline a ainsi trouvé en Edward Bond le « phare » de sa mission de service public. Un tel exemple s'est depuis propagé à d'autres scènes françaises, comme en témoigne la création, en mai 2000, par le Théâtre du Nord de Lille, dans une mise en scène de Suart Seide, d'Auprès de la mer intérieure, parabole sur l'adolescence et l'imagination écrite par Bond en 1995.
Un théâtre du cataclysme
Edward Bond est né en 1934 à Holloway. Lié dans un premier temps au Royal Court Theatre de Londres, connu comme un laboratoire d'avant-garde, Bond fut associé au Royal Court Writer's Group. Il y acquit, au contact de metteurs en scène comme William Gaskill ou George Devine, une expérience concrète de la scène et du jeu théâtral, dimension qu'il développera par la suite au cours de nombreux ateliers d'acteurs, mettant au point une véritable théorie de l'interprétation.
En 1965, Saved, description du sous-prolétariat anglais culminant dans une scène de lapidation d'un bébé dans son landau, provoque une polémique enflammée. Trois ans plus tard, le scandale est reconduit par Early morning, allégorie antivictorienne baignée d'une atmosphère cauchemardesque. Saved, montée par Claude Régy (Sauvés, 1972) va contribuer à faire découvrir Bond en France, avant que Patrice Chéreau ne le consacre grâce à sa mise en scène de Lear en 1975.
Profondément marqué par l'héritage shakespearien (Bingo, écrit en 1973, montre un Shakespeare aux prises avec la dimension matérielle du réel social), et plus encore par l'esprit et la violence des représentations de l'âge élisabéthain, Bond se réfère aussi volontiers à l'institution de la tragédie athénienne, dont il conceptualise à plusieurs reprises l'apport dans L'Énergie du sens (1998), sa principale somme esthétique et théorique, ou dans son Commentaire sur les « Pièces de guerre », écrit quelques années plus tôt. Cette analyse se veut un corollaire de son œuvre la plus ambitieuse, la trilogie des Pièces de guerre (The War Plays, 1985), sans doute aussi la plus universelle, en ce qu'elle entreprend de se charger du sort du genre humain tout entier, dépeint à travers les survivants d'un cataclysme nucléaire en forme d'apocalypse.
La fiction, légèrement anticipatrice, vise ici comme souvent chez Bond à mettre en évidence le mal d'une structure sociale libérale. L'effort de reconstruction entrepris par l'humanité restante bute sur l'attachement à la propriété privée et le réflexe sécuritaire. Le récit se fonde sur un certain nombre d'unités paradoxales : le soldat sommé de supprimer un bébé, pour des raisons de pénurie, supprime son frère en bas âge ; d'autres, pourtant persuadés d'être déjà morts, obtiennent de leur supérieur qu'il les exécute ; la femme, qui a erré dix-sept ans dans le désert pour expier l'acte fratricide de son fils, refuse de rejoindre la communauté[...]
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Écrit par
- David LESCOT : écrivain, metteur en scène, maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre
Classification
Pour citer cet article
David LESCOT, « BOND EDWARD (1934- ) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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