CULTURE Nature et culture

La leçon de l'anthropologie sociale et de la bio-anthropologie

La séparation entre l'étude de la nature et l'étude de la culture et, plus précisément, l'abandon du recours à des explications biologiques des variations culturelles semblent s'être produits vers la fin du xix e siècle et au début du xx e, comme une conséquence de la prise en considération de la théorie darwinienne de l'évolution. Cette dernière, intégrant l'homme au monde animal, le décrivait comme étant soumis aux mêmes processus évolutifs. Ainsi que le note S. H. Katz, « culture et société furent alors étudiées tout à fait séparément de l'évolution biologique. Vers 1911, Boas avait déjà écrit le chapitre intitulé « Universalité des traits de la culture » de son livre The Mind of Primitive Man ». L'on voit facilement que la distinction humanité/animalité se trouvait très atténuée, sinon effacée, sur le plan biologique, par la théorie darwinienne. Il fallait – pour des motifs idéologiques sans doute – qu'elle fût en quelque sorte recréée ailleurs. C'est alors la possession du langage et de la culture qui fut estimée être la caractéristique exclusive de l'homme. La conséquence méthodologique fut que l'on se garda bien d'étudier langage et culture dans leur rapport avec des comportements biologiques qui les prépareraient. On s'intéressa plutôt, dans l'anthropologie américaine notamment, à dégager les « universaux culturels » communs à l'espèce.

On distinguera, avec Katz, en premier lieu, l'étude des facteurs intrinsèques qui révèlent ces universaux culturels. Vers les années quarante, Murdock (« The Common Denominator of Cultures », in R. Linton, The Science of Man in the World Crisis, 1945), Malinowski (A Scientific Theory of Culture and Other Essays, 1944), Kluckhohn (« Universal Values and Anthropological Relativism », in Modern Education and Human Values, 1952) et Herskovits (Man and His Works, 1948) recherchent les universaux de la culture, par quoi il faut entendre davantage les similitudes dans les catégories plutôt que dans le contenu. On requiert, en somme, une « théorie des catégories universelles de la culture », œuvre immense, complexe et pouvant être suspecte d'ethnocentrisme occidental. Ces universaux ne sont pas non plus des structures invariables ; ils ressemblent finalement à des généralisations empiriques. Il s'agit en gros du langage, de la communication non verbale, de la religion, de la guerre, de l'art, de la danse, de la musique, de la sexualité, de l'habitat, de l'hygiène, etc. Ainsi les présente Kluckhohn : « Il est une structure générale qui sert de base aux traits les plus évidents et les plus frappants de la relativité culturelle. Toutes les cultures constituent autant de réponses distinctes aux mêmes questions essentielles posées par la biologie humaine et l'ensemble de la situation humaine. Des comparaisons valables entre les différentes cultures pourraient être faites à partir de points de référence invariants issus des données biologiques, psychologiques et socioculturelles de la vie humaine. » On peut noter toutefois que ce principe établi par Kluckhohn de l'utilisation des invariants biologiques comme base des universaux culturels ne semble pas avoir été effectivement retenu par l'anthropologie sociale et culturelle. Un ouvrage aussi important que celui de Goldschmidt, Man's Way, (1959), tente expressément de séparer la biologie humaine et la culture, à l'encontre des entreprises réductionnistes : « La culture, comme ensemble acquis d'actes, de croyances, de sentiments partagés par une communauté, et la société, système d'influences et de relations organisé entre ses membres, sont toutes deux nées des caractéristiques animales de l'homme. Mais ces caractéristiques[...]

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Écrit par

  • Françoise ARMENGAUD : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes

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Pour citer cet article

Françoise ARMENGAUD, « CULTURE - Nature et culture », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

Claude Lévi-Strauss, 1981

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