CULTURELe choc des cultures
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La multiplicité des cultures
Pour comprendre l'état présent de la culture, et trancher en connaissance de cause entre les critiques qui la défendent et celles qui l'accablent, il faut lever les équivoques attachées à ce mot et s'entendre sur la chose elle-même. De quoi parlons-nous quand nous nous préoccupons de culture, que ce soit dans le ministère qui lui est consacré, dans les maisons qui portent son nom, dans les émissions de télévision qui s'en réclament ou dans les programmes politiques qui, en exigeant « le 1 p. 100 culturel », engagent les choix de l'État ? On peut distinguer sept significations différentes, pour certaines opposées, du terme controversé de culture.
1. En premier lieu, et en son sens le plus ancien, la culture est l'exercice de l'esprit sur lui-même afin de le rendre meilleur. Cette signification axiologique, d'ordre philosophique, est attachée aux œuvres les plus remarquables de l'homme et s'exprime par le mot latin cultura. Nous y reviendrons longuement. Mais il faut noter que le substantif correspondant au verbe « cultiver » pour désigner le développement des qualités de l'esprit apparaît tardivement en France, au xviiie siècle. Vauvenargues est, semble-t-il, le premier à l'employer dans l'une de ses maximes (927) : « Tout ce qui flatte le plus notre vanité n'est fondé que sur la culture, que nous méprisons. » Le détachement futur de la société à l'égard de la culture qui l'a engendrée est sans doute déjà là en germe.
2. Le deuxième sens du mot, dérivé historiquement du premier, est celui de la culture anthropologique. L'une de ses premières définitions est celle qu'en donnait en 1871 l'anthropologue anglais Edward Burnett Tylor dans Primitive Culture : « un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances religieuses, l'art, la morale, le droit, les coutumes et toutes les autres capacités et habitudes que l'homme acquiert en tant que membre de la société ». Si le sens philosophique de la cultura avait à l'origine un sens personnel, et normatif, celui de la culture de l'homme qui se consacre à la perfection de son esprit, le sens anthropologique revêt un sens collectif, et constatatif, qui renvoie à l'organisation générale de la société.
3. La culture scientifique se distingue de la culture anthropologique et de la culture philosophique en ce qu'elle se limite, chez les hommes de science, à la maîtrise de leurs recherches théoriques et de leurs expérimentations. Historiquement, elle a été liée à la philosophie dont elle ne commence à se distinguer qu'au xixe siècle avec la spécialisation des sciences. Il va de soi que pour Platon, Euclide, Newton ou Leibniz, et, plus près de nous, Poincaré, Wittgenstein ou Popper, ces deux types de culture n'en faisaient qu'un. Lorsque Descartes écrit, dans le Discours de la méthode, qu'il faut débarrasser « l'esprit » des complications algébriques au profit d'« une science qui le cultive », il ne distingue pas ici la mathématique de la philosophie, toutes deux confondues en un seul savoir. Mais, dans le monde contemporain, la culture scientifique des ingénieurs, des programmeurs ou des chercheurs de laboratoire désigne désormais leur habitus social entendu comme la permanence de leurs dispositions et de leurs intérêts professionnels.
4. La culture technologique, plus récente, définit l'ensemble des pratiques sociales qui dépendent des procédés industriels utilisés et consommés par la société. Elle concerne aussi bien la connaissance que les usagers ont des téléphones cellulaires, des ordinateurs, des Caméscopes ou des lecteurs MP3, que l'horizon illimité ouvert par le réseau Internet à toutes les formes de communication. On n'hésitera pas ainsi à parler de la culture de Microsoft ou de la culture d'Apple, voire de la culture de l'iPod, et à avancer que la totalité des créations humaines, et l'homme lui-même, n'existent plus qu'à travers cette culture dont la numérisation devient l'alpha et l'oméga. Un bon exemple de culture technologique est celui de la série Matrix, des frères Wachowski, qui font figure de films cultes dans les milieux voués à l'innovation technique. Il va de soi que l'Éducation nationale française développe dans l'enseignement secondaire une é [...]
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Écrit par :
- Jean-François MATTÉI : membre de l'Institut universitaire de France, professeur à l'université de Nice-Sophia-Antipolis
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Pour citer l’article
Jean-François MATTÉI, « CULTURE - Le choc des cultures », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 08 août 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/culture-le-choc-des-cultures/