COMMUNISME Histoire

Autopsie du phénomène

À l'exception notable d'un cas chinois énigmatique, le communisme d'obédience marxiste dans sa version léniniste n'existe plus qu'en quelques régions très secondaires du monde. Le fait qu'il ait été perçu pendant plus de soixante-dix ans comme un phénomène d'origine russe restreint singulièrement son prestige et ses débouchés depuis la disparition de l'U.R.S.S. Par ailleurs, le maoïsme a seulement suscité un temps, en Europe, l'adhésion de jeunes étudiants et d'intellectuels qui y cherchaient un remake de 1917. Il n'a trouvé en Asie que des points d'application mineurs. Convient-il de penser que la Chine, désormais seule en ligne, prenne la direction d'un nouveau projet communiste à l'échelle mondiale ? C'est peu probable, compte tenu des spécificités traditionnelles du maoïsme, et d'autant plus que le système chinois manifeste, en même temps que la volonté de persister dans son être politique, le souhait affirmé de réintroduire progressivement l'économie de marché accompagnée d'un grand nombre des valeurs qui lui sont afférentes.

Dès lors se pose une autre question. Comment une expérience aussi longue dans le temps, aussi étendue dans l'espace, passée du rêve à une réalité contestable et contestée mais consistante, s'est-elle subitement effondrée, entraînant avec elle le bloc de certitudes dont elle s'était nourrie ? C'est que le communisme s'était incarné dans un corps dont les différents aspects avaient une inégale importance.

Le communisme ne fut pas qu'une conjuration, même s'il se construisit par coups de force et s'il eut recours au secret de manière beaucoup plus constante que ne le croient les esprits les plus prévenus. Il ne distingua le légal du clandestin que pour des raisons techniques et ses modalités d'action différèrent seulement d'un champ à l'autre afin d'en exploiter les avantages respectifs, successivement ou simultanément mais de manière complémentaire. Enfin, s'il ne fonctionnait pas comme une conspiration d'ensemble, il ne s'interdisait pas, quand la nature du terrain s'y prêtait, d'échafauder des complots. C'est la raison pour laquelle il n'a cessé de dénoncer la politique des démocraties occidentales et ses péripéties comme relevant de la catégorie des complots. La réalité communiste se déchiffre souvent dans le miroir que les communistes offrirent d'eux-mêmes par l'idée qu'ils se faisaient de l'Occident. Telle que l'animait le système communiste mondial, l'entreprise révolutionnaire n'en restait pas moins définie, et son projet explicite.

Le communisme ne fut pas qu'une idéologie. Certes, le faisceau de représentations et d'injonctions supportées par une terminologie de sens constant était indispensable au fonctionnement du système, mais son degré d'emprise pouvait être très inégal. Total aux échelons décisifs des centres de pouvoir qu'étaient les appareils dirigeants des partis, il était quasi nul dans les couches les plus fondamentales des sociétés socialistes à partir du moment où celles-ci furent globalement refoulées et décomposées, leurs membres isolés en monades erratiques. C'est pourquoi les observations et spéculations qui se fondaient sur la persistante ou la nouvelle « incroyance » des populations soumises au « catéchisme socialiste » n'avaient d'intérêt que dans la mesure où elles permettaient de préciser le lieu circonscrit où se déployait et d'où rayonnait l'idéologie.

Le communisme ne fut pas non plus qu'un empire, sauf si l'on use du terme de manière métaphorique et dégradée : il y a, dans le concept d'empire, une dimension nécessairement unitaire ou unifiée, étatique et territoriale[...]

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Écrit par

  • Annie KRIEGEL : professeur émérite à l'université de Paris-X-Nanterre

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Annie KRIEGEL, « COMMUNISME - Histoire », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Média

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