CHINOISE CIVILISATIONLes arts
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Le connaisseur chinois
L'espace mythique de l'œuvre d'art
Peu de nations ont développé aussi tôt, de façon aussi profonde et continue, la notion de « connaisseurs ». Né du respect pour l'Antiquité, de l'importance accordée à la culture littéraire et historique de l'honnête homme, le goût des œuvres d'art anciennes a favorisé en Chine non seulement la constitution de grandes collections, et cela dès les premiers siècles de notre ère, mais aussi l'apparition au xiie siècle de l'archéologie préscientifique. La notion de connaisseur implique une communion entre l'homme et l'objet d'art, que l'amateur chinois a très tôt ressentie comme essentielle. L'œuvre ne peut en effet survivre qu'à travers le regard et l'intérêt des hommes qui l'apprécient. Cette présence humaine nécessaire n'ôte cependant pas à l'objet l'indépendance et les propriétés magiques que lui confèrent son caractère microcosmique et son ancienneté.
En Chine, un poème, une peinture, une pièce musicale constituent autant de petits mondes à part qui, créés par l'esprit, sont équivalents au vaste monde, mais plus réels que lui parce que sans pesanteur, transparents à l'esprit, immortels. Ce thème apparaît comme essentiel pour comprendre l'attitude du connaisseur chinois. Réduire l'univers, le rendre maniable, accessible, c'est lui enlever le dernier semblant de réalité factice, et l'élever au niveau de la seule réalité véritable, l'espace mythique. En ce sens, un jardin miniature, un encrier évoquant une montagne, une peinture offrant la découverte de sa randonnée à travers un paysage constituent autant de jeux d'illusionnistes liés à un ensemble de notions philosophiques et magiques profondément ancrées dans la mentalité chinoise. Tout objet, fût-ce une statue, une pierre, un bronze, peut en vieillissant s'élever au rang des esprits. Ainsi les objets anciens offrent-ils, par la concentration de leurs vertus et la transformation de leurs qualités ordinaires en des propriétés efficientes, un pouvoir magique à l'amateur qui les possède. Cultiver chez soi un jardin miniature confère la longévité, recueillir les calligraphies des maîtres passés, c'est renouer avec l'« essence » de leur art, délier son âme en s'appropriant leur esprit.
Domaines de la sensibilité et exigences esthétiques
Désignant une élite, la classe dirigeante des fonctionnaires-lettrés, la notion d'amateur en Chine s'attache à tous les aspects de la création artistique et implique un éventail de sensibilité beaucoup plus large qu'en Occident. La jouissance esthétique ne vient pas de la vue seule, mais aussi du toucher et de l'ouïe. Une porcelaine, un jade offriront à l'amateur non seulement la perfection de leur forme, l'harmonie de leurs couleurs, mais aussi et surtout la sensualité de leur texture, de leur poli, de leur grain, l'inattendu des accidents de surface et la sonorité de leur matière.
Cette sensibilité si riche et si profonde s'accompagne d'exigences esthétiques particulières. Le lettré chinois, dont les arts d'agrément sont la littérature, la calligraphie, la peinture et la musique, a l'amour de la simplicité, l'horreur du voyant et du clinquant. Il apprécie avant tout les saveurs secrètes qui ne se découvrent qu'aux initiés raffinés et attentifs. Le rare et l'exquis s'identifient pour lui à une sobriété dépouillée, ils présentent d'étroites affinités avec le détachement supérieur, l'élégante nonchalance, le naturel fantasque et souverain, la noble oisiveté. L'amateur, comme l'artiste, entretient en lui une disponibilité spirituelle, silencieuse, épurée et tranquille, cultivée par la contemplation de la nature et des œuvres d'art, l'étude, la musique ou le vin. La beauté du monde doit être savourée dans la sérénité, et le rythme de la vie intérieure doit s'accorder à la nature des choses. Aussi la faculté d'oublier sa propre individualité pour s'identifier à ce qui est unique, inexprimable dans une œuvre d'art constitue-t-elle la qualité distinctive du connaisseur.
Au raffinement s'oppose la vulgarité, dans laquelle l'amateur chinois voit un déséquilibre : l'ornement extérieur étant cultivé au détriment du contenu réel, des structures d'ensemble, du souffle spirituel. La vulgarité, c'est aussi la banalité, le lieu commun, la raideur pédante. L'idéal esthétique du lettré se définit en effet par réaction contre la rigidité de la discipline morale, des rites, des compositions classiques, à laquelle il est soumis depuis l'enfance, rigidité étouffante qu [...]
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Écrit par :
- Corinne DEBAINE-FRANCFORT : docteur-chercheur au C.N.R.S. (UMR 7041) , directeur de la Mission archéologique franco-chinoise au Xinjiang (Chine)
- Daisy LION-GOLDSCHMIDT : chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
- Michel NURIDSANY : critique d'art, écrivain, commissaire d'exposition
- Madeleine PAUL-DAVID : ancien maître de recherche au CNRS, professeure honoraire à l'École du Louvre, chargée de mission au Musée national des arts asiatiques-Guimet
- Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS : directrice d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
- Pierre RYCKMANS : reader, Department of Chinese, Australian National University
- Alain THOTE : directeur d'études émérite à l'École pratique des hautes études, section des sciences historiques et philologiques, membre de l'Institut
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Pour citer l’article
Corinne DEBAINE-FRANCFORT, Daisy LION-GOLDSCHMIDT, Michel NURIDSANY, Madeleine PAUL-DAVID, Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS, Pierre RYCKMANS, Alain THOTE, « CHINOISE CIVILISATION - Les arts », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 20 juin 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/chinoise-civilisation-les-arts/