CERVELET
Intervention du cervelet dans l'organisation des activités motrices
Rôle dans la préparation et l'exécution du mouvement
Dans le schéma qu'ils ont proposé pour définir l'organisation centrale du mouvement, G. I. Allen et N. Tsukahara (1974) ont regroupé les structures en fonction des différentes étapes qui interviennent dans la préparation et l'exécution du mouvement. Ce schéma est basé sur des données anatomiques, électrophysiologiques et comportementales.
La figure illustre la conception de ces auteurs. Une première phase du mouvement correspond aux événements qui précèdent l'exécution proprement dite. Elle impliquerait un certain nombre d'opérations, telles que le plan général du mouvement, le choix du « programme » qui va être utilisé lors de l'exécution et la sélection d'un certain nombre de circuits qui vont « assister » la performance motrice. Au cours de cette phase interviendraient principalement les aires corticales associatives, qui avec l'aide de circuits cortico-corticaux, ou de voies indirectes passant par le néocervelet ou par les ganglions de la base, influenceraient le cortex moteur. Dans une seconde étape, celle de l'exécution du mouvement, la commande motrice issue du cortex moteur parviendrait à la moelle et à la périphérie, et disposerait d'un certain nombre de circuits d'assistance parmi lesquels les parties plus anciennes du cervelet, partie intermédiaire et vermis, joueraient un rôle important.
Le schéma de G. I. Allen et de N. Tsukahara en vient donc à considérer des fonctions distinctes au néocervelet et aux parties plus anciennes. Cette distinction est basée sur le fait que, lors de la commande d'un mouvement, les neurones du noyau dentelé sont activés bien avant le début du mouvement tandis que ceux du noyau interposé le sont autour du début du mouvement.
Une analyse plus fine des étapes du mouvement et de l'activité neuronale associée au niveau des noyaux ou du cortex cérébelleux a permis de préciser les données initiales. Dans les protocoles choisis, un signal préparatoire (son, lumière) précède un second signal ou signal de déclenchement. Ce dernier est à l'origine de l'exécution du mouvement. Le temps qui s'écoule entre le signal de déclenchement et le début du mouvement est appelé temps de réaction, et il donne une mesure indirecte du degré de préparation du mouvement.
Le néocervelet intervient au cours de la préparation du mouvement. Certains neurones du noyau dentelé sont activés pendant la phase préparatoire. Par ailleurs, le potentiel lent négatif qui s'observe au niveau de l' aire motrice environ une demi-seconde avant les mouvements auto-initiés disparaît après la lésion du noyau dentelé contralatéral. Les processus que sous-tendent ces changements d'activité ne sont pas encore élucidés.
Mais c'est sans doute dans le déclenchement rapide du mouvement que le cervelet intervient de manière prépondérante. En effet, après lésion du néocervelet, le temps de réaction est allongé, aussi bien chez l'homme que chez le singe. Le néocervelet paraît surtout impliqué dans le déclenchement du mouvement par des signaux téléceptifs (visuels, auditifs) et de nombreux neurones de ce noyau répondent au stimulus visuel lorsque celui-ci est le signal du mouvement (Lamarre et al., 1978). Par ailleurs, l'activité du noyau dentelé qui précède le mouvement et lui est corrélé spécifie dans un certain nombre de cas l'articulation concernée et même la direction du mouvement, mais ne « code » généralement pas des paramètres spécifiques du mouvement tels la force, la vitesse ou l'amplitude. Les influx émis par le noyau dentelé pourraient avoir une fonction de « porte » qui assurerait la sélection et la mise en route de circuits situés ailleurs qui, eux, spécifieraient les paramètres du mouvement. Cet effet « porte » pourrait s'exercer sur les « colonnes » du cortex moteur, impliquées dans l'exécution du mouvement. Cette interprétation est confirmée par le fait que, après refroidissement du néocervelet, le codage des paramètres de vitesse et de force du mouvement par les cellules du cortex moteur est toujours présente, mais que l'activité débute avec retard (V. B. Brooks, 1979). L'activité du noyau dentelé pourrait aussi régler, par une action sur le système fusiomoteur gamma, le « gain » de boucles proprioceptives qui contrôlent l'exécution du mouvement et sa phase de freinage, et ajusteraient la sensibilité des circuits détecteurs d'anomalies lors de l'exécution du mouvement (W. A. McKay et J. T. Murphy, 1979). D'après V. B. Brooks, les oscillations du membre qui surviennent au cours de l'exécution du mouvement seraient dues au réglage déficient par le néocervelet de boucles proprioceptives.
Le noyau interposé est plus directement impliqué dans l'exécution du mouvement. Son activité paraît coder les paramètres de force, de direction et de vitesse, mais c'est surtout son intervention au cours du freinage du mouvement par le moyen d'une boucle de rétroaction externe qui a été illustrée par des travaux récents. Il intervient par le même type de boucle pour corriger les perturbations (force externe imposée) lors de l'exécution du mouvement ou lors du maintien de position.
Rôle du cervelet dans l'adaptation et dans l'apprentissage moteur
Une des fonctions importantes du cervelet est son intervention dans les processus d'adaptation et d'apprentissage moteur. L'adaptation caractérise le changement progressif d'un réflexe ou d'une performance motrice lorsque les conditions dans lesquelles s'exécute l'acte moteur sont modifiées. Le changement une fois achevé est stable et le retour aux conditions initiales n'entraîne de retour à la performance initiale que par un nouveau processus d'adaptation. L'apprentissage moteur caractérise l'acquisition de nouveaux automatismes.
Un faisceau d'arguments laisse penser actuellement que le cervelet joue un rôle important dans le phénomène de l'adaptation et que les fibres grimpantes en sont l'artisan principal. Les recherches dans ce sens font suite aux hypothèses de Marr et d'Albus selon lesquelles la décharge de la fibre grimpante aurait pour effet d'accroître selon Marr, de réduire selon Albus de manière stable la transmission synaptique des afférences qui sont parvenues au même moment à la cellule de Purkinje par le système de fibres parallèles.
Les recherches les plus démonstratives ont été réalisées sur le modèle que constitue le réflexe vestibulo-oculaire. Ce réflexe a pour finalité de maintenir la direction du regard lors des mouvements de la tête. Le « gain » du réflexe est défini par le rapport entre les vitesses des mouvements de l' œil et de la tête. Il varie selon les conditions expérimentales et peut s'adapter, c'est-à-dire se modifier de manière stable lorsqu'une même condition (cible visuelle fixe par exemple) est maintenue pendant longtemps. Le réseau nerveux relativement simple qui sous-tend ce réflexe comprend l'afférence vestibulaire, le noyau vestibulaire et le noyau oculo-moteur. Le circuit cérébelleux surajouté est formé par l'afférence vestibulaire (fibre moussue), la cellule de Purkinje (lobe flocculo-nodulaire) et le noyau vestibulaire. Ce second circuit agit de manière anticipée (feed-forward) sur le réflexe pour en régler le gain. Une seconde entrée sur la cellule de Purkinje vient d'une région précise de l'olive bulbaire (fibre grimpante) qui reçoit des afférences visuelles. Cette seconde voie détecterait l'écart entre le réflexe réalisé et la cible visuelle et serait d'après M. Ito à l'origine de l'adaptation du gain du réflexe. En effet, l'adaptation du réflexe disparaît après l'ablation de la zone impliquée du cortex cérébelleux, elle disparaît également après la lésion de la micro-zone olivaire qui transmet les afférences visuelles au lobule cérébelleux, enfin la micro-stimulation de la zone olivaire peut à elle seule modifier le gain du réflexe.
D'autres évidences sur le rôle du cervelet et des fibres grimpantes dans l'adaptation du gain de certains réflexes ont été proposées dans la littérature, comme par exemple leur rôle dans l'adaptation d'un réflexe proprioceptif postural (Nashner) ou d'un réflexe proprioceptif segmentaire (Gilbert et Thach). Il existe cependant une controverse quant au rôle respectif dans le mécanisme de l'adaptation de l'olive bulbaire du cortex cérébelleux et des structures situées dans l'arc réflexe primaire.
Le rôle du cervelet dans des phénomènes d'apprentissage plus complexes n'a pas fait jusqu'à présent l'objet d'études bien définies. Son rôle dans les phénomènes de compensation qui surviennent après la lésion d'un labyrinthe a été analysé par R. Llinas et al. (1975), qui attribuent un rôle essentiel à l'olive et un rôle secondaire au cortex cérébelleux. Il est plus que probable que la réorganisation fonctionnelle de réseaux neuronaux puisse se réaliser, au moins en partie, en dehors et en l'absence du cervelet.
Cervelet et mouvement oculaire
La motricité oculaire est perturbée de manière importante lors de lésions cérébelleuses. Les réseaux qui commandent les mouvements oculaires sont cependant localisés en dehors du cervelet, essentiellement au niveau du tronc cérébral. C'est donc par le biais d'un contrôle déficient de ces réseaux de nature tonique et phasique que s'explique la pathologie oculaire d'origine cérébelleuse. Les déficits les plus importants résultent de l'atteinte du cervelet vestibulaire et du vermis (lobules VI et VII). Le néocervelet pourrait également intervenir dans la régulation de la motricité oculaire, mais sa contribution spécifique n'a pas encore été démontrée.
Le réflexe vestibulo-oculaire qui maintient la direction du regard lors de mouvements de la tête est déprimé après lésion du lobule X. Le gain de ce réflexe est réduit et ne se modifie plus au cours des phénomènes d'adaptation.
Le mouvement de poursuite oculaire est ralenti et ne suit plus le déplacement de la cible après lésion cérébelleuse. L'effet est bien visible lors du nystagmus optokinétique, où le « gain » du réflexe est diminué. La saccade oculaire est de type dysmétrique, hypométrique ou hypermétrique, et n'atteint la cible qu'après correction. Une contribution phasique des cellules de Purkinje du vermis au déclenchement de la saccade a été mise en évidence chez le singe normal (Llinas), le début de l'activité du neurone précédant celui du mouvement.
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Écrit par
- Jean MASSION : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur du département de neurophysiologie générale
Classification
Médias
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Voir aussi
- PURKINJE CELLULE DE
- NEUROLOGIE CLINIQUE
- HISTOLOGIE ANIMALE
- NYSTAGMUS
- DENDRITE, biologie
- CORTEX CÉRÉBELLEUX
- OLIVES BULBAIRES
- MOTRICES AIRES
- HYPOTONIE MUSCULAIRE
- NEUROPHYSIOLOGIE
- ENCÉPHALE
- MARCHE
- NEUROBIOLOGIE
- VOIES MOTRICES
- CÉRÉBELLEUSES VOIES
- ASYNERGIE
- EFFÉRENCES, neurologie
- FAISCEAUX SPINO-CÉRÉBELLEUX
- NOYAUX CÉRÉBELLEUX
- NOYAUX VESTIBULAIRES
- NÉOCERVELET
- PROJECTIONS, neurophysiologie
- VERMIS ou CORTEX VERMIEN
- VESTIBULO-OCULAIRE RÉFLEXE
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