RUSSELL BERTRAND lord (1872-1970)
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Le moraliste et le militant politique
Né à Rovenscroft, fils cadet de lord et lady Amberley, Bertrand Russell fut très tôt orphelin et, en dépit des dernières volontés exprimées par ses parents agnostiques, placé sous la tutelle austère de sa grand-mère lady John Russell, à Richmond. Préceptorat, université de Cambridge et fellowship à Trinity College lui donnent une éducation d'aristocrate. D'une ouverture d'esprit peu ordinaire, politiquement élevé dans un climat « réformiste », « radical libéral » dans la ligne de John Stuart Mill, qui fut aussi son parrain, très vite émancipé du puritanisme de sa grand-mère, il commence une vie vouée à la réflexion, à l'étude des mathématiques et de la philosophie de la connaissance, une vie progressivement engagée dans les méandres de la philosophie morale et dans les aléas de l'action politique. La Première Guerre mondiale le range parmi les adversaires de la belligérance, ce qui le conduit en 1918 à la prison de Brixton ; il en sort convaincu de l'urgence de réformes radicales en Grande-Bretagne. Les Principes de reconstruction sociale (1926) exposent cette orientation de plus en plus socialisante, proche de celles de Keynes, de Shaw et de Wells à la même époque. Une visite en Russie soviétique (Théorie et pratique du bolchevisme, 1920) l'avait déconcerté, de même que, en 1921, un séjour dans la Chine du Kuomintang. Il en avait été orienté vers d'autres horizons : en dépit des contradictions éventuelles à surmonter, il allait rechercher la solution politique, sociale et morale dans un socialisme plus libéral et humaniste (Roads to Freedom, 1918), dans un libéralisme plus socialisant qu'à l'accoutumée. Tout son comportement politique en est dominé. Cela ne le détourne pas tout à fait de ses études, dont porteront témoignage jusqu'au soir de cette vie exceptionnelle de nombreux ouvrages de philosophie.
Appelé, à la suite du décès de son frère aîné, à siéger en 1931 à la Chambre des lords, il y brille par la sagesse de ses interventions. Il reçoit, en 1950, le prix Nobel de littérature. « Trois passions simples, irrésistiblement ancrées en moi, écrit Russell au seuil de son Autobiographie, ont gouverné ma vie : le besoin d'amour, la soif de connaissance et une douloureuse communion avec tous ceux qui souffrent. Trois passions qui, comme de grands vents, m'ont balayé de-ci de-là dans une course capricieuse sur un profond océan d'angoisse qui me fit toucher les bords mêmes du désespoir. »
Convaincu par G. Santayana, ainsi que par son expérience personnelle, de la relation des mœurs et de l'agir humains, Russell mit à défendre ses idées morales et politiques plus de fougue que de logique, et ses positions dans ce domaine ont souvent oscillé. Il est demeuré pacifiste en raison de ses attaches fabiennes, mais en admettant qu'il pût y avoir des guerres justes. Il le fut avec vigueur pendant la Première Guerre mondiale. Toutefois, il adopta, en 1939-1940, une position différente, car il était trop marqué par ses origines libérales pour ne pas s'apercevoir que, cette fois, les valeurs morales les plus vitales étaient en jeu. Le pacifisme de Russell reprit toute sa force avec la menace thermonucléaire, contre laquelle l'écrivain mit tout le poids de son autorité morale, estimant qu'il s'agissait de la survie de l'humanité. Son action visait deux objectifs : l'un, à court terme, était de mettre en difficulté ou de rendre impossible toute velléité d'agression et d'obtenir, faute de mieux, la condamnation publique de l'agresseur et des sanctions contre lui (d'où la Fondation Russell pour la paix et la mise en place du « tribunal Russell ») ; le second objectif, à long terme, consistait à promouvoir toutes les conditions et institutions propices à la formation d'un gouvernement mondial.
Les efforts de Russell en matière d'éthique ont porté sur la recherche des conditions optimales « d'un plus grand bonheur du plus grand nombre » ; il prônait, dans ce dessein, la méthode « radicale », qui compte sur l'initiative individuelle autant que sur des réformes collectives. Demeurant à mi-chemin entre l'anticapitalisme et le socialisme radical, dont il avait au cours de ses voyages pressenti les tragiques issues, et toujours profondément déçu par l [...]
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Écrit par :
- Philippe DEVAUX : membre de l'Académie royale de Belgique, professeur aux universités de Liège et de Bruxelles, président du Centre national de recherche de logique
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Pour citer l’article
Philippe DEVAUX, « RUSSELL BERTRAND lord (1872-1970) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/bertrand-russell/