PIVOT BERNARD (1935-2024)
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Le journaliste, écrivain et critique littéraire français Bernard Pivot est né le 5 mai 1935 à Lyon, mais Quincié-en-Beaujolais (Rhône), où il fut élevé, est resté son point d’attache sentimental. Au milieu des vignes, il cultive son amour de la bonne chère et du sport, notamment le football. La gourmandise et l’agilité acquise à cette époque se révéleront d’indéniables atouts pour le lecteur infatigable qu’il allait devenir. Dans une famille où le livre était rare, ce « vice impuni » lui fut transmis à travers deux ouvrages : le Petit Larousse et les Fables de La Fontaine. Il puise dans le premier pour étancher sa curiosité lexicale et dans le second pour la clarté de la langue.
À la Libération, entre les cours, il sert de commis dans l’épicerie de ses parents dans la capitale des Gaules. Élève peu brillant selon ses propres aveux, il obtient son baccalauréat de justesse et s’oriente en 1955 vers le Centre de formation des journalistes (CFJ). C’est d’ailleurs dans cet institut qu’il rencontre Monique, sa future épouse, avec laquelle il aura deux filles. À sa sortie, il décroche en 1958 un emploi de rédacteur au Figaro littéraire (« courriériste ») et, l’année suivante, publie un roman, L’Amour en vogue.
Bien plus que l’écriture, c’est la passion de lire qui va s’emparer de lui. Après un passage à la radio, sur Europe n° 1, où il délivre un billet d’humeur, on lui confie en 1973 la présentation d’« Ouvrez les guillemets » sur la première chaîne télévisée de l’ORTF, où il convoque auteurs et chroniqueurs. L’émission est remarquée et cela lui donne l’idée de rassembler, sans critiques cette fois, des auteurs autour d’une thématique. Le 10 janvier 1975, sur Antenne 2, naît l’émission « Apostrophes ». Le succès est immédiat. Chaque vendredi soir, à 21 h 30 et en direct, avant le « Ciné club » de Claude-Jean Philippe, autre grand passeur d’émotions, Bernard Pivot officie le regard matois, les lunettes sur le bout du nez et le sourire en coin. Le magazine Lire, qu’il vient de créer avec Jean-Louis Servan-Schreiber, prolonge la curiosité dans les kiosques.
Dans son salon littéraire cathodique, Bernard Pivot reçoit les plus grands : Vladimir Nabokov, Claude Lévi-Strauss, Georges Simenon, Marguerite Duras, Milan Kundera… Grâce à lui, un nouveau public découvre aussi Georges Dumézil, Michel Foucault, Pierre Bourdieu ou Vladimir Jankélévitch, ce dernier a d’ailleurs vendu plus de livres après son passage « chez Pivot » que durant toute sa carrière. Seuls quelques irréductibles comme Julien Gracq, Jean Genet, Cioran, Henri Michaux, René Char ou Samuel Beckett refusent l’invitation. De jeunes auteurs comme J.-M. G. Le Clézio ou Patrick Modiano font aussi leur apparition. On y entend aussi la romancière québécoise Denise Bombardier s’indigner des propos de Gabriel Matzneff sur ses très jeunes conquêtes féminines. Reflet d’une époque avec ses avers et ses revers, la grande cérémonie du livre se déroule chaque semaine avec un succès constant, entre 2,5 et 6 millions de téléspectateurs. À tel point que ce rendez-vous désormais incontournable, qui fait vendre, suscite l’alacrité de quelques intellectuels. Ainsi en 1982, à Montréal, devant l’Union des écrivains québécois, Régis Debray, alors conseiller du président de la République François Mitterrand, accuse l’émission de Pivot d’exercer une « dictature » sur le marché du livre. Il s’excusera de cette mauvaise humeur et sera plusieurs fois invité, tout comme Jean d’Ormesson, habitué d’« Apostrophes » bien qu’ayant congédié le jeune Pivot du Figaroen 1974…
Indétrônable quinze ans durant, l’émission s’use avec les nouvelles pratiques télévisuelles du zapping. Le 22 juin 1990, le 724e numéro est le dernier. L’historien Pierre Nora, avec lequel Bernard Pivot s’était[...]
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Écrit par
- Laurent LEMIRE : journaliste, écrivain
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