ARTS POÉTIQUES
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L'Antiquité
Mythe et représentation
Si Platon chasse les poètes de sa république parce qu'ils sont des imitateurs et qu'ils pratiquent la mimésis au lieu du récit, Aristote, dans sa Poétique, décrit les lois du récit épique ou dramatique et justifie la mimésis, capacité d'imitation dévolue au langage, en disant qu'elle est vraisemblable et qu'elle peut, en la représentant, nous apprendre quelque chose sur l'action humaine. Platon condamne les fictions (sauf les mythes, dont il fait usage lorsque la dialectique est impuissante) ; Aristote demande qu'on représente la nature. Platon dénonce l'immoralité des passions, que les poètes rendent séduisantes. Aristote répond par sa théorie de la catharsis : la pitié et la crainte, aidées par la musique des poètes, purifient et apaisent les autres passions.
On voit que la doctrine ainsi exposée par le philosophe de Stagire est à la fois littéraire et philosophique. À la différence de Platon, qui se défiait de toute sophistique, il a voulu réconcilier les deux types de discipline ; pour lui, la poétique est très proche de la rhétorique, notamment par l'emploi des tropes, métaphore et métonymie, et par l'usage des vertus du langage : clarté classique ou merveilleux qu'apprécieront plus tard les « baroques ». Mais Aristote ne se limite pas au texte et à sa forme, comme on l'a cru parfois. Cela est particulièrement sensible dans sa conception du théâtre, imitation d'une action, c'est-à-dire d'une mise en acte donnant forme et unité à une matière (notons qu'Aristote conçoit l'unité d'une manière générale ; les « trois unités » n'apparaîtront qu'avec les commentateurs de la Renaissance). La poétique (de poiein, faire, créer) dépend alors de l'ontologie. Cela était déjà vrai chez Platon (Ion, Hippias majeur) qui pensait qu'elle était inaccessible à la raison parce qu'elle appartenait à l'ordre de l'inspiration, de l'irrationnel, de l'indicible. Il la rejoignait parfois dans le mythe. Aristote a un point de vue plus optimiste. Il croit, lui, à la possibilité d'un art, qu'il soit technique, pratique ou qu'il se donne comme un simple manuel.
Éloquence et poésie
Les deux nuances vont rester confrontées à travers l'histoire. Dans le Pro Murena (62 av. J.-C.), Cicéron reprend la théorie de l'inspiration qui lui vient de Platon et d'Héraclite et tente de la concilier avec l'éloquence prônée par Aristote. Dans l'Orator, il pose la doctrine du beau idéal (l'artiste prend l'Idée pour modèle), qui gardera beaucoup d'influence. Dès son premier traité de rhétorique, le De inuentione, il avait déjà évoqué l'exemple du peintre Zeuxis qui, devant peindre à Crotone Hélène, la plus belle des femmes, avait combiné les beautés des cinq plus jolies filles de la ville.
Zeuxis choisissant ses modèles, N. Monsiaux
Nicolas Monsiaux (1754-1837), Zeuxis choisissant ses modèles. Huile sur toile. 1797. Art Gallery of Ontario, Canada.
Crédits : Gift of the Volunteer Committee Fund 1988, Bridgeman Images
Le second ouvrage romain à définir un art poétique est constitué par les Bucoliques. Certes, Virgile n'a pas composé d'art poétique en forme. Mais nous pensons que les églogues en tiennent lieu dans la mesure où elles fournissent à la fois une théorie de l'imitation, une théorie de l'amour, une théorie de la grandeur ou de l'élévation. Imitation : Virgile combine l'idylle et l'élégie, Théocrite et Catulle, pour rejoindre l'épopée en y introduisant la grandeur et la modestie de la réalité paysanne, de la terre, de la patrie. Il peut ainsi accorder les Anciens et les Modernes, Lucrèce et Asinius Pollion. On a montré comment les églogues se répartissent selon une structure pyramidale : on est d'abord avec Tityre sub tegmine fagi, puis on monte jusqu'aux astres avec Daphnis avant de redescendre, dans la IXe églogue, sur les rives du Mincio où tombe une pluie du soir. Tel est sans doute l'amour du poète qui gagne le ciel mais revient vers la terre. Énée ne fera rien d'autre après son voyage aux cha [...]
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Écrit par :
- Alain MICHEL : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines
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Pour citer l’article
Alain MICHEL, « ARTS POÉTIQUES », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 06 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/arts-poetiques/