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ARMÉE Pouvoir et société

La pression sociale

La pression de la société peut aussi bien jouer dans le sens de la rigueur militaire qu'en sens inverse. Si l'on prend l'exemple du xixe siècle en France, il est clair que la société, sans être aucunement de type prussien, est austère : on fait parfois la prière dans les usines, les notables portent un col cassé et les enfants sont strictement éduqués. Une armée à la discipline sourcilleuse ne jure pas dans ce contexte. D'autant moins qu'après 1870 se profile l'idée de « revanche » : l'armée est sacrée autour de laquelle s'ordonnent, pour un temps, toutes les réformes, tous les efforts et toutes les pensées. La querelle religieuse et scolaire elle-même se trouve, sur ce plan, dépassée ! Bref, la pression sociale renforce aussi bien la structure que la détermination des armées.

Aujourd'hui, l'influence exercée est évidemment opposée, mais, pour ce qui concerne encore la France, ses effets délétères ont été malgré tout limités. Une sorte de consensus s'est, en effet, créé, touchant à l'indépendance, à l'arme nucléaire et à la nécessité de faire face à tout adversaire ; nos responsabilités outre-mer sont, par ailleurs, dans l'ensemble, admises. Quand, au début des années quatre-vingt, la « crise des euromissiles » suscite des manifestations monstres chez nos voisins, notre pays tranche par sa relative sérénité.

L'antimilitarisme paraît de son côté émoussé : antimilitarisme de conscrit, du type Courteline ; antimilitarisme philosophique (je méprise profondément, disait Einstein, ceux qui aiment marcher au pas, en rang, derrière la musique) ; antimilitarisme politique, brandi notamment par le Parti communiste à l'époque d'Abd el-Krim ; « cartiérisme » militaire, enfin, traditionnel dans une partie de la droite française, etc., tout cela semble un peu désuet. Quant à l'opposition à la guerre, qu'elle se présente sous la forme du pacifisme classique, de la non-violence ou de l'objection de conscience, elle ne fait pas davantage recette, le nombre des objecteurs de conscience, en particulier, étant jusqu'ici fort réduit dans notre pays.

Les militaires devraient en être ravis, même si une tension structurelle demeure. Le développement du Service d'information des armées n'est pas pour rien dans cette embellie ; de même, le développement des « études de défense » à l'Université. L'armée aime, d'ailleurs, qu'on parle d'elle ; qu'on en parle, toutefois, exclusivement en bons termes, qu'on en écrive le « livre d'or », quiconque émettant une critique, fût-elle la mieux argumentée, étant plus ou moins considéré comme un adversaire ou comme un traître, puisque, après tout, le corps militaire, c'est la patrie incarnée ! « Syndrome Dreyfus », reflet d'une institution pour qui la règle est l'unité. Il en sera toujours ainsi, sans doute, tant qu'il y aura des armées. À ce titre, une bribe d'antimilitarisme est une vertu sociale qu'il faut sauvegarder.

Qu'en est-il, toutefois, du « consensus national » depuis l'effondrement soviétique ? L'attachement au service militaire, souvent considéré comme un critère de l'esprit de communauté, a disparu. La disparition de la menace majeure, la technologie et l'influence anglo-saxonnes ont poussé à la professionnalisation ; la diminution inévitable des effectifs rendent supportable la charge financière d'une armée de métier. Bref, la nouvelle donne, à la fois technique, sociologique, internationale et internationaliste, pose en termes nouveaux le problème de l'armée et de son insertion dans la société.

« Le son du clairon n'évoque rien, et c'est en cela qu'il est typiquement militaire », disait un moraliste. Il se trompait. De tout temps,[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-I, ancien président de la Fondation pour les études de défense nationale

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Médias

Soldats de la garde prétorienne - crédits :  Bridgeman Images

Soldats de la garde prétorienne

Chars amphibies - crédits : Bert Hardy/ Getty Images

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Alfred Dreyfus - crédits : Aaron Gerschel/ A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

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