INDUSTRIELLE ARCHITECTURE
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La proto-industrie : un bâti d'emprunt
Une contrainte pèse sur l'établissement industriel de l'âge classique : avoir à proximité une source d'énergie hydraulique, seule disponible à l'époque, et des matières premières. Les deux activités essentielles de l'Europe industrielle des Temps modernes, la métallurgie et le textile, sont étroitement dépendantes de ces nécessités : la « grosse forge » s'installe donc en pleine forêt, près d'un barrage qui régularisera un cours d'eau et garantira la fourniture d'une énergie constante, et à proximité du combustible, le charbon de bois, et du minerai. Les manufactures de drap s'implantent dans les ports de la Manche par où transitent les laines espagnoles, et les manufactures de tabac dans les ports de l'Atlantique.
À la logique de l'implantation correspond une stricte économie du bâtiment ; on construit selon des pratiques et des moyens locaux éprouvés : la halle de stockage du minerai ressemble à une grange, et la forge rurale organise son plan d'ensemble comme une grande ferme. Les établissements urbains des drapiers ne se distinguent des maisons voisines que par leur « grenier-étente ». Lorsque l'entreprise se développe, on a recours au modèle supérieur du même programme : de maison urbaine, la manufacture devient hôtel sur plan en U avec cour d'honneur et basse-cour, corps central et ailes (Sedan : le Dijonval, 1755 ; Abbeville : manufacture des Rames, 1709). La forge qui s'agrandit emprunte au château son plan général et ses schémas formels : ainsi, Buffon, naturaliste et fermier général, implante-t-il en Bourgogne (Montbard, 1776) un ensemble métallurgique où le haut fourneau est architecturé comme une chapelle seigneuriale, dont il occupe d'ailleurs la situation par rapport au logis du maître.
Quant à l'expression de la fonction de production des manufactures royales, elle est secondaire par rapport à leur rôle d'affirmation d'un pouvoir régalien, ainsi la manufacture de tabac de Séville (1728-1770), la manufacture de soie du roi de Naples, à Caserte, et la Monnaie de Paris (par Antoine, 1767) sont-elles de véritables palais urbains.
On retrouve la trace de ces incertitudes sémantiques dans les traités des spécialistes ; en théoricien du « caractère », J. F. Blondel déplore cette indétermination : « Les manufactures de Sèvres et Abbeville peuvent servir de guide pour l'expression à donner à la décoration des façades des manufactures, encore doivent-elles leur célébrité plus à leur agrément et à leur utilité qu'à l'ordonnance de leur architecture, le caractère propre à chaque édifice étant la partie la plus négligée chez nous » (Cours, t. II, p. 339). En praticien de la construction, François Cointereaux s'accommode de cette situation et publie un ouvrage au titre significatif : Traité sur la construction des manufactures et des maisons de campagne (1791).
Cette absence de caractère propre permet d'ailleurs des réaffectations précoces : la fabrique de drap d'Elbeuf est convertie dès le xviiie siècle en résidence ducale, et le moulin à marée des forges d'Indret (par Touffaire, 1778) est transformé en chapelle après soixante ans de service actif.
Enfin, la manufacture peut emprunter son modèle à l'organisation villageoise : à la draperie de Villeneuvette à Clermont-l'Hérault, créée en 1678, les ateliers, les logements ouvriers et la chapelle sont distribués autour d'une place plantée autour d'une fontaine, où l'on pénètre par une porte de ville.
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Écrit par :
- Françoise HAMON : professeur d'histoire du patrimoine à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Pour citer l’article
Françoise HAMON, « INDUSTRIELLE ARCHITECTURE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 15 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/architecture-industrielle/