ARCHITECTURE CONTEMPORAINEUne architecture plurielle
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Un patrimoine menacé
Qui oserait placer sur un même plan la sauvegarde d'un palais Renaissance et celle d'un immeuble des années 1960 ? Et pourtant, c'est ce que devrait autoriser une conception rigoureuse du patrimoine. André Chastel observait, il y a vingt-cinq ans, l'évolution spectaculaire de la notion vers une prise en compte élargie du domaine bâti. Et André Fermigier se félicitait alors de l'intégration des gares et des usines dans l'héritage reconnu de la modernité. Il envisageait l'extension du champ patrimonial à l'ensemble du passé : les salles de cinéma et les boutiques des années 1930 trouveraient enfin leur place aux côtés des cathédrales et des châteaux.
Cette ouverture laissait espérer des mesures généreuses en faveur de l'architecture du xxe siècle. Or, un quart de siècle après ces déclarations optimistes, le bilan est plutôt décevant. La préservation des édifices modernes a accompli des progrès remarquables, mais elle reste très largement au-dessous des nécessités. Depuis le classement, en 1957, du Théâtre des Champs-Élysées à Paris et l'action initiatrice d'André Malraux, qui a permis, grâce au décret du 18 avril 1961, d'étendre la protection aux constructions contemporaines, de nombreuses œuvres du xxe siècle ont accédé au statut de monument historique. Retenues pour leur valeur culturelle, elles ont bénéficié des dispositions de la loi du 31 décembre 1913, c'est-à-dire des procédures de classement et d'inscription à l'Inventaire. Plus de mille constructions du xxe siècle sont aujourd'hui protégées au titre de cette réglementation, et l'on peut se réjouir de voir figurer, aux côtés des villas de Le Corbusier, d'André Lurçat ou de Robert Mallet-Stevens, les stations de métro d'Hector Guimard, la grande halle de Tony Garnier à Lyon, la rotonde pour locomotives à vapeur construite à Avignon par Bernard Laffaille, l'usine-barrage de Théo Sardnal, un ancien élève de Perret, à Bollène, ou encore le chevalement en béton armé de la mine de Freyming-Merlebach en Lorraine. Cependant, malgré son indéniable richesse, la liste des monuments modernes protégés présente encore de terribles lacunes.
Une protection inégale
Dans son introduction au catalogue de l'exposition Mille Monuments du XXe siècle en France organisée au palais d'Iéna par le ministère de la Culture et de la Communication (4 février-11 mars 1998), Bernard Toulier note que 43 p. 100 des édifices protégés ont été construits entre 1900 et 1913 et que la moitié d'entre eux porte les marques de l'Art nouveau. 33 p. 100 ont été bâtis entre les deux guerres, tandis que les constructions de la seconde moitié du xxe siècle ne représentent que 9 p. 100 de ce corpus monumental. Ce n'est donc pas un hasard si les bâtiments les plus menacés aujourd'hui sont précisément ceux qui sont issus de cette dernière période. Et l'absence de recul historique ne peut suffire à expliquer cet état de fait. La masse des programmes réalisés après la Seconde Guerre mondiale en est peut-être la cause. Les chefs-d'œuvre sont noyés dans l'océan du bâti et rares sont les spécialistes capables de les discerner.
En fait, c'est moins le défaut de protection qu'il faut craindre que le désintérêt qu'il trahit. La destruction récente de l'Institut de l'environnement édifié à Paris par Robert Joly et Jean Prouvé est la conséquence du manque d'enthousiasme des milieux professionnels pour ce type d'architecture. Commandée en 1969 par André Malraux, cette boîte légère présentait en façade, à l'avant de ses panneaux industrialisés, une ossature métallique contreventée. Cette expression technologique trouvait son sens dans la continuité des travaux de Jean Prouvé qui, depuis la maison du peuple de Clichy (1937-1939), avait poursuivi son inlassable recherche sur les murs-rideaux. La démolition de ce bâtiment nous a privés d'un jalon important pour comprendre le cheminement intellectuel d'un des grands inventeurs du xxe siècle, mais aussi d'un édifice subtil que Robert Joly avait su insérer avec justesse dans son contexte urbain. Plusieurs constructions de Jean Prou [...]
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Écrit par :
- Joseph ABRAM : architecte, professeur à l'École nationale supérieure d'architecture de Nancy, chercheur au Laboratoire d'histoire de l'architecture contemporaine
- Kenneth FRAMPTON : professeur d'architecture, chairman of the division of architecture, Columbia University, New York
- Jacques SAUTEREAU : architecte, chargé de mission au Bureau de la recherche architecturale, ministère de l'Équipement
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Pour citer l’article
Joseph ABRAM, Kenneth FRAMPTON, Jacques SAUTEREAU, « ARCHITECTURE CONTEMPORAINE - Une architecture plurielle », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 25 avril 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/architecture-contemporaine-une-architecture-plurielle/